Chapitre 7-partie 1

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Benjamin 

Il est 22 heures. Je termine les sushi que Nina a gentiment fait livrer au bureau sur ma demande. Le dossier de fusion acquisition est en bonne voie, d'ici quelques jours il sera bouclé, sans aucune faille juridique dans laquelle s'engouffrer et ainsi anéantir tout notre travail. Pour cela, je suis assez satisfait, mes collègues et moi avons bien bossé. Pourtant, je dois avouer que ce n'était pas gagné tant j'avais été ailleurs, à ressasser ce qui s'était passé un peu plus tôt.

Après mon entrevue avec Élisha, mon humeur s'est considérablement assombrie. La faute à mon comportement envers elle, en tout cas c'est la conclusion à laquelle je suis arrivé en me repassant la scène en boucle. Bien qu'habitué à utiliser régulièrement l'adage qui dit que la fin justifie les moyens, jusqu'à maintenant je l'avais fait uniquement dans le cadre de mon boulot, le monde des affaires étant ce qu'il est et surtout peuplé de requins dont je fais partie. Mais là, avec elle, j'ai atteint des sommets dans l'art de la manipulation. Jamais je ne me suis comporté ainsi avec un être humain et une partie de moi en est presque écœurée.

D'un autre côté, elle n'avait qu'à ne pas se présenter devant moi si sexy dans son tailleur qui soulignait à merveille ses courbes si féminines, laissant voir de jolies jambes admirablement galbées que j'imagine sans aucun problème autour de mes hanches pendant que je la chevauche avec ardeur. Un flot d'images, toutes plus érotiques les unes que les autres s'imposent à moi, me faisant littéralement frissonner d'anticipation. Comment aurais-je pu résister, il aurait fallu être surhumain pour ne pas craquer. De toute façon, je n'en ai aucune envie, depuis l'histoire du baiser, je n'arrive pas à me sortir cette fille de la tête. Lorsqu'elle avait voulu s'esquiver de mon bureau, j'ai eu comme un déclic : il était hors de question que je la laisse disparaître de ma vie comme ça. Le chantage que je lui ai fait m'a paru à cet instant-là le meilleur moyen de la revoir. L'idée de faire d'une pierre deux coups pour m'assurer une promotion et donc le poste que je convoite est venue la seconde d'après. Un éclair de génie, même si la forme est discutable. Et si je devais recommencer, je le referais sans aucune hésitation.  

Il est 22 h 30 lorsque je m'aperçois que j'ai passé trente minutes à me rejouer la scène de cet après-midi. Je me lève, range rapidement mon bureau et sur un coup de tête je décide de mettre mes plans à exécution dès ce soir.

J'arrive en quelques minutes au Joe's Corner et me rends compte au moment où je pousse la porte du pub que je suis dans un état de fébrilité plus qu'avancé. Il y a du monde ce soir, un chat n'y retrouverait pas ses petits. Malgré la foule et l'ambiance animée, je l'aperçois rapidement. À croire que les gens se sont écartés de chaque côté, me laissant le champ nécessaire pour poser mes yeux sur elle, un peu comme dans ces fils complètement absurdes que les nanas affectionnent tant. Je l'observe, me sentant malgré moi vaguement honteux, dans la peau d'un voyeur caché derrière un buisson. 

  Accoudée au bar, elle semble être en grande conversation avec Jay-Jay et une jeune femme blonde plutôt jolie. Tous trois ont l'air de pas mal s'amuser, comme me l'indiquent leurs rires qui me parviennent malgré le brouhaha autour de moi. Élisha est de profil et vêtue de ce que j'appelle son uniforme de travail – ce même style de fringues qu'elle porte d'ailleurs à chaque fois que je viens ici. Un t-shirt à l'effigie d'un super héros lui allant à ravir, ses cheveux attachés en une queue de cheval lui donnent un air juvénile, un pantalon duquel je ne peux détourner les yeux, qui souligne à merveille le galbe de son mignon petit c... Bordel, il faut que je pense à autre chose ! 

Mon meilleur ami se penche vers elle et sa copine pour leur dire je ne sais quoi. L'instant d'après, les deux jeunes femmes pouffent, hilares. Je n'ai d'yeux que pour Élisha, remarquant jusqu'à cette fossette se creusant sur sa joue quand elle rit, l'éclat de son regard, son visage transformé par la joie. J'en ressens aussitôt une sorte de pincement au cœur. La voir à ce point détendue avec ses proches m'est difficile, même si je ne me l'explique pas vraiment. Mais à cet instant, je prends conscience du fait que depuis notre rencontre elle n'a jamais eu cette attitude avec moi. Au contraire. J'en viens presque à envier Jay-Jay d'être celui qui les fait rire. Moi, je n'ai eu droit jusqu'à maintenant qu'à des regards noirs, des sourires commerciaux, crispés et cet après-midi, j'ai fait fort j'ai vu quelque chose qui ressemblait à du dégoût dans ses yeux. Ainsi que des larmes qu'elle tentait de refouler. D'ailleurs, en la voyant joyeuse comme elle l'est en ce moment, je commence à me sentir mal à l'aise. La façon dont je lui ai parlé plus tôt dans la journée, ma proposition... tout me semble déplacé, je n'ai qu'une envie : me barrer.

Oui, mais voilà, honteux ou pas à cause de mon comportement, il n'en reste pas moins que je n'ai pas bossé comme un taré pour rien ces dernières années. Trop de sacrifices ont été faits, entre mes études à l'étranger qui n'ont laissé que très peu de place à une éventuelle vie sentimentale, mes journées à rallonge au cabinet qui m'ont hissé au rang de collaborateur en moins de temps qu'il en faut d'habitude aux autres. Je n'ai pas fait tout ceci pour rien ! J'en veux plus maintenant, j'ai l'impression de stagner au poste que j'occupe et l'opportunité de devenir associé avec tous les avantages liés au job, le salaire, la perspective d'être détaché dans un des prestigieux bureaux européens de la firme pour laquelle je travaille justifie que je me serve de cette fille. Même si c'est la sœur de mon meilleur ami qui ne saura jamais rien de toute cette affaire, ni quel rôle a pu y jouer Élisha. Pas vu pas pris. C'est ça, la fin justifie les moyens. Et de toute façon, elle ne pourra qu'apprécier à leur juste valeur les avantages qu'il y a à m'« aider » dans mon ascension professionnelle. Au bout du compte, si tout se passe bien, nous ne nous reverrons plus et elle aura le poste dont elle rêve dans cette école.

 Un couple se rend au bar et commande deux bières. Jay-Jay s'occupe de leur servir leurs verres tandis que sa sœur et son amie continuent à discuter entre elles. Les deux jeunes femmes ne m'ont toujours pas vu. Mon regard croise celui de mon pote. Il fronce les sourcils, apparemment surpris de me revoir si vite au pub. Il est vrai que d'ordinaire, mes visites ne sont pas aussi fréquentes. De la main, il me fait signe de le rejoindre. Contre toute attente, j'hésite, plus vraiment sûr de ce que je dois faire, partagé entre l'envie de rentrer chez moi et de me reposer avant une nouvelle journée de travail, et celle de passer à l'action avec Élisha. C'est une sensation pour le moins étrange, je suis rarement impressionné et pourtant là je me sens sur le point de perdre mes moyens. J'avoue avoir du mal à comprendre ce qui me prend : plus tôt dans la journée, j'avais été plus sûr de moi, ne doutant de rien alors que maintenant, j'hésite à faire un pas dans leur direction. Quelle connerie ! Si je n'arrive pas à me reprendre, je peux d'ores et déjà dire adieu à tout espoir de me voir un jour promu au rang d'associé. Allons Ben ! Un peu de courage ! 

Toi et moi, désastre assuréOù les histoires vivent. Découvrez maintenant