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De ses mains écorchées, Kai reposa maladroitement son verre vide pour rentrer après avoir dévalisé tout le whisky disponible. Il avait la tête qui tournait par l'ivresse et ses gestes complètement aléatoires lui firent manquer l'encadrement de porte. Son épaule frappa le bois et il se retourna brusquement, espérant presque y voir un homme pour exploser et extérioriser le bouillonnement qui trépignait dans ses muscles. A peine sorti, il s'alluma une cigarette et se dirigea vers sa voiture tout en déboutonnant quelques boutons de sa chemise. Il étouffait tant son corps brûlait et que sa cage thoracique piégeait son cœur.
Sa conduite fut chaotique et il manqua plusieurs fois de griller des feux rouges ou de se prendre des trottoirs. Toutefois, il s'en moquait, prêt à prendre le risque parce qu'il était certain de ne rien avoir à perdre. Après une vingtaine minutes, il se gara dans une petite rue parisienne. Les lampadaires étaient déjà éteints tant il était tard et le calme présent le rendit nerveux. Il préférait l'agitation et le bruit plutôt que le silence et la pénombre. Il ne perdit donc pas de temps pour sortir de son véhicule et sonner à l'interphone encore et encore jusqu'à ce qu'on lui réponde.


« C'est moi. »

« Kai ? Merde, t'es dingue, il est... »

« Ouvre. »


Il put l'entendre souffler avant que la porte d'entrée ne se déverrouille.  Il se précipita dans la cage d'escaliers pour rejoindre l'appartement et fut accueilli par une petit brune, les bras croisés et les traits tirés. Il tenta de la délier en l'attrapant pour l'enlacer mais elle refusa, le repoussant d'une main sur son torse qui s'éternisa bien trop longtemps pour que ce soit une vraie colère.


« Il est deux heures du mat. Je travaille demain. Et... » Elle le sentit avant de grimacer. « Tu pues l'alcool. »

« J'ai été boire un verre, c'est tout. »

Elle secoua la tête, agacée. « Tu me saoules. » Elle recula en marche arrière, refusant malgré tout de le quitter des yeux. Elle s'était inquiétée de son silence pourtant habituel. « Pour venir si tard et...comme ça, j'aurai préféré que tu dormes chez toi. »  Il verrouilla la porte derrière lui, l'observant lui aussi. Elle était en tenue de nuit mais tout ce qu'il voyait été ses jambes dénudées qui semblaient l'appeler. Il voulait la toucher, s'enivrer d'elle jusqu'à ne plus penser au reste. « On devait passer la soirée ensemble. » Il ne répondit pas, incapable de faire deux choses en même temps. Il avait clairement choisi d'utiliser sa vue pour le moment. « Kai, tu m'écoutes ? »

« Adèle, on va pas se prendre la tête à cette heure là. » Elle se pinça les lèvres, prête à craquer. Il était sa faiblesse, sans aucun doute. Sa simple présence suffisait à oublier les ruminations colériques d'il y a quelques heures. Elle s'était imaginée tout un plan pour le repousser, le laisser dehors tout en lui criant des injures par sa fenêtre. Alors qu'il s'approchait, elle s'arrêta. La distance se réduisant enfin entre eux. « Tu m'aurais bien plus que foutu à la porte si j'étais venu plus tôt. » Elle fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir. Toutefois, il se frotta la main et elle vit ses phalanges pleines de coupures fraîches. Elle connaissait que trop bien ces marques pour les avoir vu beaucoup de fois. Il s'était battu, si fortement que sa peau en avait craqué. Ca l'aida à lui en vouloir.« Allez Adèle, s'il te plait. J'ai juste envie de t'avoir dans mes bras et de dormir. Je rêve d'une nuit de sommeil complète et tu sais que c'est plus facile quand t'es là. » 

« Et moi, j'aurai rêvé que tu viennes plus tôt...ou a pas du tout. Clairement, on a pas toujours ce qu'on veut. » Elle se retourna pour ne pas le voir et ne pas craquer. « Si tu restes, ok, mais tu dors sur le canapé. Et prends une douche, j'ai aucune envie de sentir...cette odeur à mon réveil. »

« Adèle, abuse pas. »


Son ton fut véhément. Il avait besoin d'elle et de sa peau pour taire ses pensées. Et si l'alcool n'avait pas été dans ses veines, il l'aurait suppliée mais à la place ce fut sa frustration qui sortit en premier. Elle serra les dents, le pointant du doigt, rêvant de pouvoir lui montrer sa déception. Seulement, rien ne sortit, sauf ses joues qui prirent une teinte rosée. Elle secoua la tête avant d'abandonner et de prendre la fuite.
Kai n'insista pas plus et partit prendre une douche. Ce n'était pas chez lui mais pourtant il était à ses aises, retrouvant ses affaires dans un des tiroirs de la salle de bain. 

Rafraîchi par le jet glacial, l'alcool descendit jusqu'à ce qu'il ne reste plus que les souvenirs de cette soirée violente. Il resta impassible malgré tout comme si la tempête intérieure n'était qu'une vieille compagne.

Il s'allongea dans le canapé, tendant l'oreille pour entendre la jeune femme, la suppliant silencieusement de céder.
Il n'eut à attendre qu'une dizaine de minutes avant d'entendre la porte de la chambre s'ouvrir. Il resta immobile, son souffle coupé pour ne pas louper ses mots.


« Tu viens ? » Ce n'était qu'un murmure mais ce fut suffisant pour qu'il se redresse immédiatement pour la rejoindre. Il se précipita vers elle et la prit dans ses bras, la surplombant de tout son corps tout en inspirant son odeur. Il était enfin au bon endroit, au bon moment et toute la course de pensées s'éteignit. « T'es vraiment con parfois, tu le sais ? » Il acquiesça, prêt à accepter toutes ses insultes, avant de déposer un baiser sur son crâne. Il avança tout en la gardant contre lui. Arrivés contre le matelas, ils s'allongèrent, Adèle sa tête contre son torse. « Je me suis inquiétée. Et en plus, t'as bu et conduis et tu sais à quel point je déteste ça. »

« J'voulais te voir quand même. »

« Alors pourquoi avoir bu ? » Il caressa ses cheveux distraitement, s'enivrant de son contact. Il voulait éteindre toutes ses voix, tous ses flashbacks, ne plus être en capacité d'avoir une seule pensée.

« Parce que ma soirée était...merdique. »

« Tu serais venu comme prévue, on aurai bu du vin que j'ai acheté tout en cuisinant... »

« ...Je t'aurai fait l'amour surtout. » Elle frappa son torse brusquement, relevant sa tête. Malgré l'outrage, il pouvait clairement y voir derrière un amusement certain. « Quoi ? C'est vrai. »

« T'es insupportable. »

« Tu savais à quoi t'en tenir avec moi. »

Ils s'étaient imposés des limites claires. Du moins, Kai avait insisté pour la protéger, conscient que s'ignorer ou pire être de simples amis était impossible. Ainsi, ils avaient concédé pour une relation avec tous les bénéfices physiques et émotionnels, sans pour autant se limiter à celle-ci dans une monogamie dangereuse. Pour autant, ils n'utilisaient pas ce droit non plus mais cette idée de pouvoir prendre la fuite suffisait à Kai. Innocemment, il pensait que cette frontière empêcherait Adèle de tomber amoureuse parce que pour sûr, elle terminerait briser par sa faute. La brune ne lui en disait rien mais c'était bien trop tard pour faire marche arrière. Elle savait que son honnêteté le ferait partir alors elle préférait se suffire de ce lien, de ce qu'il lui accordait.
Le voyant fixer le plafond, étouffé dans ses pensées, elle passa une main contre sa mâchoire pour l'interpeller.

« Tu veux parler de ta soirée ? »

« J'veux dormir. » Elle fit la moue tout en passant ses doigts sur les traits tirés de son visage. Seulement, il attrapa son poignet pour l'empêcher de descendre contre la cicatrice de sa pommette. Elle était ancienne mais visible. Elle n'y connaissait pas grand chose mais elle savait que c'était une plaie non traitée, datant d'il y a plusieurs années. C'était pas la seule. « Non, Adèle, s'il te plaît. »

« Laisse-moi t'endormir. »

« Ça marchera pas, tu le sais. C'est pas mon truc. » Il entrelaça leur doigts pour être certain qu'elle ne tente plus rien. « T'avoir comme ça me suffit amplement. »

« Comme tu veux. » De sa main libre, il la serra un peu plus contre lui, la remerciant par ce geste. « Bonne nuit Kai. »

« Bonne nuit Adèle. »

EverlastingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant