Portraits de personnages

Elora

L'adolescente fronça les sourcils, refusant de s'avouer vaincue.
-Allez, c'est pas parce que ça a échoué les sept fois d'avant que ça ne peut pas réussir à la huitième, pensa-t-elle pour s'encourager.
Elle se concentra, le regard fixé sur la paume de sa main tendue devant elle. Dans un murmure, elle prononça les mots anciens.
Rien...
Rien de rien...
Un juron des docks lui échappa et elle vérifia par réflexe que personne ne l'avait entendu. Ouf, elle était toujours seule dans son petit refuge. Si l'un de ses parents l'avait entendu, elle se serait fait tancer vertement sur le vocabulaire attendu chez une jeune fille de "bonne famille" telle qu'elle.
Évidemment, si un adulte l'avait surpris dans ses tentatives, son vocabulaire inadapté aurait probablement été le cadet de leur souci.

Pourtant, elle en était certaine, ça pouvait marcher, ça DEVAIT marcher. Alors pourquoi ça ne marchait pas bon sang !
La frustration la faisait grincer des dents et, encore une fois, elle relut le vieux livre posé à coté d'elle. L'ouvrage était plus que vieux en réalité. Il s'agissait d'une antiquité et elle n'avait réussi à le lire que grâce à l'éducation d'excellence que ses parents lui faisaient donner. Et encore, elle n'était pas totalement certaine d'avoir convenablement traduit certains termes de l'Ancienne Langue.

Au début, quand la jeune fille parlait de sa nouvelle lubie, les adultes autour souriaient, voire riaient en se moquant gentiment d'elle. "La magie, ça n'existe pas enfin ma fille !" lui disait-on.
Mais en voyant que son intérêt ne faiblissait pas, qu'elle s'obstinait dans ses tentatives, les regards, d'amusés, étaient devenus inquiets. On estimait qu'elle gâchait son temps, puis que sa fascination et son entêtement étaient néfastes. Pour elle. Pour son avenir.
Pourtant elle excellait toujours autant dans ses études. Moins dans ses exercices physiques c'est vrai. Elle n'avait jamais été très sportive à dire vrai. Mais les adultes autour d'elle craignaient qu'elle ne se forge une réputation d'excentrique, ou pire, de douce folle dont on peut rire sous cape.
Personne ne la croyait, mais elle savait que ça pouvait marcher. Pourquoi sinon, ces antiques ouvrages décrivant des incantations, des gestuelles...
Elle scruta la page, cherchant à comprendre ce qu'elle faisait de travers.
-Allez, ça marchera peut être à la neuvième fois, on ne sait jamais.
Résolue, elle tendit de nouveau la main droite devant elle, paume ouverte vers le ciel. Elle prononça de nouveau les mots qu'elle connaissait désormais par cœur, tandis que les doigts de sa main gauche dessinaient de légères arabesques vers le sol.
Etait-ce l'intonation de sa voix ? Avait elle enfin trouvé où placer correctement les accents toniques sur les anciens mots ? Ou bien avait-elle changé sans s'en apercevoir la gestuelle délicate de la main gauche ?
Elle n'en savait rien mais d'un coup, elle vit apparaître dans sa paume ouverte un dodécaèdre régulier qui pulsait d'une douce lueur bleuté.
Elle en resta comme deux ronds de flanc, osant à peine en croire ses yeux. Elle avait réussi ! Elle avait ENFIN réussi !
Et en même temps qu'elle réalisait cela, elle prit conscience d'un "léger" problème. Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle avait réussi, de ce que ce dodécaèdre immatériel était censé lui permettre d'accomplir, et encore moins de... comment le faire disparaitre.
Elle réfléchit à toute vitesse, contenant de son mieux une panique qu'elle sentait monter en elle. Puis, sans qu'elle comprenne pourquoi ni comment, l'étrange objet luisant dans sa main clignota une fois, puis une autre, avant de se volatiliser subitement.
Elle poussa un énorme soupir de soulagement et s'assit sur la chaise la plus proche, les jambes flageolantes.
Au bout de quelques secondes, un grand sourire lui vint aux lèvres. Elle savait qu'elle avait raison et elle venait de le prouver. Ce n'était que le début.