Tommy n'en croyait pas ses oreilles. Alors, les invocateurs des rêves existaient bel et bien ? Soit il était déjà en train d'halluciner au fond du Puits Hurleur en attendant que la mort vienne le chercher, soit Tara-Tatin avait raison depuis le début : il existait une autre magie que celle de Madame et le dragon qu'il avait vu dans la forêt en était la preuve. Tommy s'en voulait d'avoir ignoré Tara. Pire, de l'avoir méprisée. Il avait écouté ce que disaient les autres pensionnaires, sans chercher à la comprendre. Il fallait dire que tout le monde la croyait folle à lier.
Tommy était à présent sain et sauf. Il avait atterri dans un vaste salon aux murs couverts de livres, où crépitait un feu de cheminée. L'air était plus respirable ici, comme s'il s'était habitué depuis toujours à respirer une sorte de brume épaisse.
Toutes ces couleurs... Songea-t-il, subjugué par les étoffes brodées de fils d'or et d'argent, les tons prononcés des tableaux, jusqu'à la puissance éblouissante du feu. Il n'avait jamais vu que des nuances de gris de toute sa vie : la couleur du Fer, la couleur des ombres. Pour lui, c'était comme avoir été privé d'un sens. Aujourd'hui, il découvrait la beauté en chaque chose.
Il en oubliait que trois paires d'yeux s'étaient posées sur lui. Il y avait June, celle qui l'avait sauvé, mais aussi une grande femme au front proéminent, qui aurait bien pu être sa mère.
Tommy suivit des yeux le faucon qui traversait la pièce, le corps du rapace se mit soudain à fondre dans une éblouissante lumière dorée pour réapparaître sous la forme d'une petite boule de poils grise qui plana jusqu'à l'épaule de June. Le jeune homme cligna des yeux plusieurs fois : l'animal venait de se changer en écureuil volant.
— C'est bien lui, dit June en pointant un index sur Tommy.
— Lui ? répéta la femme qui le regardait d'un œil méfiant. Mais enfin, regardez-le ! s'exclama-t-elle. Avec son air de corbeau déplumé et ses yeux de chien battu, je peux vous le dire, celui-ci a croupi au fond de la Mer Cauchemardesque ou je ne m'appelle pas Galatëa !
— Pourtant, Flèche l'a vu faire, à travers l'œil d'une chouette.
— Je doute que ce garçon soit capable de quoi que ce soit, dans l'état où nous l'avons trouvé. Qui es-tu, au juste ? demanda la dénommée Galatëa, en regardant Tommy comme un dangereux cafard qu'il était urgent d'écraser.
Tommy resta muet, se demandant ce qu'il avait fait à cette femme pour qu'elle ait à ce point une dent contre lui. Un peu perdu, il dut reconnaître qu'elle était bien étrange. Elle avait la taille et les traits d'un homme, mais les vêtements, le maquillage et les manières d'une femme.
Tommy resta bouche bée et la voix haut perchée de la femme le fit sursauter.
— Oh June ! Oh, ma chérie ! Je crois que tu arrives trop tard. Ne vois-tu pas que les ombres ont déjà fait leur œuvre ? Il n'y a plus âme qui vive dans cette coquille vide. Peut-être que tu pourrais nous en débarrasser pour éviter de salir la maison plus que nécessaire ?
Un homme remarquable par sa taille avait surgi de la pénombre pour intervenir :
— Galatëa, laissez ce pauvre garçon reprendre ses esprits. Si les ombres l'avaient tué, alors il n'aurait tout simplement plus d'ombre lui-même.
Les trois regards ricochèrent vers l'ombre de Tommy que la danse des flammes projetait sur le mur.
Tommy essaya de comprendre leur raisonnement. Il avait une ombre, donc il était vivant ? Tout le monde ici semblait trouver ceci d'une logique implacable, sauf lui.
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Tommy, invocateur des rêves
FantasiIl est impossible de s'enfuir de l'orphelinat Thézémore.. Tous les pensionnaires l'ont compris, sauf Tommy qui a un autre plan. Il fugue avec son ami Tibalt pour tenter d'échapper au pouvoir maléfique de « Madame » et libérer ses camarades. C'est al...