Chapitre 2

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Le cycle des saisons n'était rien de plus que le témoin du temps qui s'écoulait, et chaque seconde était un grain de sable tombant dans le sablier d'une vie trop courte dont on cherchait le sens, à la place de profiter. Car chacune de ces secondes faisait partie d'un passé que l'on ne pourrait jamais rattraper.

Il y avait de ces saisons où rien ne changeait, et d'autres qui pouvaient changer toute une vie. Ces instants troublants où les pages d'une histoire décidaient toutes seules de tourner sans que l'on ne puisse les en empêcher.

Lorsqu'ils s'étaient quittés pour rentrer chez eux, après cette étrange rencontre à la bibliothèque, Alhaitham avait été persuadé que tout cela ne resterait rien de plus que le souvenir d'une simple conversation, de confessions offertes dans le silence d'un lieu désert, un instant d'intimité dévoilé dans l'obscurité.

Kaveh avait parlé, Alhaitham avait écouté. Il avait été pour une soirée le confident d'un coeur blessé qui avait seulement eu besoin d'être soulagé. Puis il s'en était allé. Il n'attendait rien de Kaveh; il ne l'avait pas écouté pour recevoir quoi que ce soit en retour. Leur vie reprendrait simplement leur cours sans que rien n'ait changé.

Pendant plusieurs jours, Alhaitham n'était pas retourné à l'académie. Rien d'inhabituel; il y avait de ces jours où la foule lui semblait plus difficile à supporter que d'autres, où les regards et le bruit devenaient beaucoup trop douloureux. Dans ces moments-là, il préférait simplement rester seul chez lui pour étudier, plongé dans l'un de ses nombreux livres.

Ses professeurs lui reprochaient souvent ses absences, l'un d'eux lui avait ouvertement dit qu'il n'était qu'un égoïste, que de nombreuses personnes aimeraient être à sa place et pouvoir suivre les cours de cette prestigieuse académie. S'il n'avait pas eu d'aussi excellents résultats, il aurait certainement été exclu. Et c'était en partie à cause de cela qu'il s'attirait les regards noirs des étudiants de son darshan.

Ils le maudissaient.

Cette fois encore, il n'avait pas échappé aux réprimandes, et avait quitté la salle sous une pluie de murmures à peine discrets; il entendait les rictus moqueurs et sentait les regards lourds dans son dos. "Cet espèce d'insensible, avec son livre entre les mains, mais regardez, ce qu'il est ridicule." , "Ce prétentieux se croit au-dessus des autres, mais il est la honte de l'Haravatat."

Alhaitham ne répondait jamais rien.

Que pourrait-il dire à des gens qui trouvaient plus facile de se moquer en groupe plutôt que de chercher à comprendre, de toute façon ? Personne n'avait envie d'être vu aux côtés de ce garçon étrange et beaucoup trop différent. Quelle honte cela serait ! On ne se mêlait pas à la saleté, quand on devait à tout prix briller.

Mais il avait autre chose à faire que de se soucier de ce qu'ils pouvaient bien penser de lui. Changer pour les autres, c'était comme se renier soi-même. À quoi bon, si c'était pour être malheureux ? Il préférait encore être seul.

Sans leur adresser un seul regard, il se mit à marcher à travers les couloirs de l'académie, et ce fut en arrivant dans le hall d'entrée qu'il le revit.

Kaveh se tenait là, entouré d'un groupe de personnes avec lequel il discutait. Il tenait entre ses mains de grands rouleaux de parchemin. Son visage, qu'il avait vu pour la toute première fois couvert de larmes, rayonnait de bonheur. Ses yeux brillaient, un doux sourire étirait ses lèvres, et le son cristallin de son rire s'élevait dans les airs. Sa chevelure blonde était mise en valeur par la couleur émeraude de son uniforme. L'étoile du Kshahrewar étincelait comme le soleil. Il était aimé, et entouré. Les gens parlaient fort autour de lui, les filles se bousculaient pour qu'il les remarque. Ces gens semblaient prêts à tout pour un seul de ses regards. Il était fait d'une lumière dont tous ici voulaient profiter.

Le Son du SilenceWhere stories live. Discover now