Ellipse du futur...
Lazulite
Face à ce grand miroir reflétant ma perfection atone qui, les jours précédents, a été majestueuse, mes ocelles fuligineuses regardent sans intérêt mes mains fermer les boutons de cette chemise immaculée qui recouvre mon torse. Mes cheveux de jais retombent légèrement sur mon visage et masquent mon esprit enseveli dans ce trou béant qu'est l'amour. Et tandis que le silence berce la grande chambre éclairée par la lumière du jour, dehors, il m'est impossible de faire comme si je ne voyais pas le ciel pleurer.
Doucement, les fleurs colorées qui donnent vie au parc de Lazulite baissent la tête, les arbres s'agitent sous le léger vent et les oiseaux se sont cachés pour survivre à cette averse.
Amorphe, je ferme mes boutons de manchettes puis j'enfile ma veste.
Parfait, c'est ce que je suis. Mon image est parfaite, ma réputation est parfaite, ma vie est parfaite. Tout est parfait... Et pourtant, la perfection a un prix.
En jetant une dernière œillade à la bague bleue qui décore mon doigt, je quitte ma chambre pour descendre l'impressionnant escalier en pierre et un froid glacial s'empare de mon être. J'en frissonne jusqu'à l'os lorsque j'entends les pleurs d'un enfant. Une petite fille.
Ses cheveux blonds sont réunis dans une queue de cheval haute et décoré d'un nœud noir au niveau de l'élastique. Tous ces gens portent des vêtements sombres et enfouissent leurs visages dans des mouchoirs de satins blancs dont leurs initiales ont été brodées au fil d'or.
Et parmi ce bal d'humains perfides, de larges épaules dignes sortent du lot. Celles d'un homme qui n'a d'autre choix que de surmonter l'insurmontable par amour.
L'amour nous conduit toujours à des sacrifices.
Qu'il soit envers sa famille, ses amis ou sa moitié, l'amour est cruel. Sans cesse, il faut se battre, souffrir et se sacrifier pour lui. Par amour. Mais l'amour est du désespoir.
Le désespoir de ne trouver aucune lumière à la fin d'un tunnel. Le désespoir d'être plongé dans une solitude à tout jamais. Alors nous aimons... Nous aimons si fort...
Et cet amour puissant, cet amour qui nous a fait sourire et pleurer de joie, cet amour sacrificiel, cet amour maladif... Cet amour aujourd'hui, il est là, en route vers un accès refusé aux vivants, à la croisée des mondes.
Ici, devant ces gens qui attendent de me voir fragilisé, je reste impassible, simplement respectueux des êtres en souffrance, des êtres aimants et aimés. Mais je me sens inévitablement de trop.
Incapable de partager ce désespoir, je reste en retrait sous l'œil attentif des invités tandis que mes yeux ne réussissent pas à se détourner de ce cercueil. Les sanglots de la petite fille ne quittent pas mes oreilles.« Toutes mes condoléances. »
Cette voix...
Je trouve ces pupilles smaragdines, cette voix ensorcelante, cette peau douce et chaude, ces lèvres pulpeuses et d'un rouge obsédant, ces longs cils noirs et élégants, ce cou fin parfait pour porter n'importe quel collier digne de ce nom et cette chevelure couleur noisette qui cascade gracieusement sur cette échine divine.
Elle est ici.
Mais elle n'est pas seule.
Et devant ses yeux qui pourraient découvrir le désespoir que j'ai pour nous, pour ce moment précis, je me dresse, carre les épaules et relève hautainement mon sourcil.« Tu viens encore mendier à Lazulite ? » je me moque et au fond, je le pense.
Parmi tous ces gens, combien sont véritablement sincères ?
Lazulite n'est pas un endroit où les gens honnêtes se retrouvent et cela ne sera jamais le cas. Lazulite est simplement un royaume de faste, de classe, de richesses, de trésors inestimables.« Non, je... » finalement, elle soupire et se tait.
De toute façon, que pourrait-elle ajouter ?
Je n'aime pas les gens qui se servent de moi. Moi, je me sers des gens. Mais l'inverse m'est intolérable.
Et la conversation est définitivement close quand Zain arrive à ses côtés.« Toutes mes condoléances, Lazulite. » il dit d'un ton désolé.
Je ne loupe pas ses doigts qui discrètement s'enlacent à ceux de la femme à sa gauche.
« Je ne suis pas en deuil. » je me sens obligé de répondre.
Comment pourrais-je prétendre être plus triste que cette enfant et que cet homme qui pleurent, penchés sur ce cercueil en bois de chêne ? Comment pourrais-je prétendre avoir le droit à des condoléances alors que je n'ai rien fait pour éviter ça ? Moi, qui deale le bonheur, qui le vends comme on vendrait du tabac.
Je ne peux feindre le dégoût que je ressens pour ce que j'ai sous les yeux. Cette bague trahissant bien des actes, des secrets et des serments même pas encore prononcés.
Cet homme est-il idiot pour ne rien voir ? Et elle, je ne la comprends pas non plus. Mais peut-être suis-je le plus idiot. Peut-être ne suis-je pas assez désespéré pour comprendre ce lien qui les unie.
La seule chose dont j'ai la certitude c'est qu'ici, tout le monde joue un rôle.
Tout le monde se tapote l'épaule pour se réconforter alors que silencieusement, ils se concentrent pour verser une larme. Ils se tendent un mouchoir pour se pavaner indirectement devant leurs ennemis. Elles me font transparaître leurs fausses tristesses pour espérer me toucher, me séduire et m'avoir. Toutes. Et eux, ces hommes qui restent à l'affût du moindre de mes gestes pour vérifier qu'aucune épaule virile ne me soutienne et ainsi s'attirer mes bonnes grâces dans les jours à venir.
La vérité, ici à Lazulite, c'est que je déteste ces gens. Je déteste ces personnes qui pourtant peuplent ma vie. Je déteste ces sourires infâmes, ces êtres dépourvus d'un quelconque intérêt à mes yeux. Je méprise ces hommes vicieux et lâches.
Oh et ces dames...
Ces dames de belles familles, toutes polies, belles et gracieuses. Elles sont horribles. Ne se nourrissent que des ragots et du malheur des autres. Elles n'ont rien dans les poches hormis un préservatif pour espérer mettre un bon parti dans leurs lits.
Je hais ces gens.« Vous êtes courageux et votre dignité inspire bien des gens ici. » Zain commente en regardant le grand hall inondé de détresse.
Et comme s'il n'y avait pas assez d'hypocrites réunis dans un seul et même endroit, j'aperçois le président avec à son bras, sa femme.
Encore une relation basée sur le désespoir.
Et de toute évidence, chaque être humain est pourvu d'un désespoir.

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Lazulite
Fanfiction⚠️ ATTENTION ! ⚠️ Ce tome se lit juste après Brugmansia I et II. De l'argent à perte de vue, des parures inestimables, des tissus fastueux, un royaume sardanapalesque, des bals époustouflants, des femmes et des adversaires par milliers voilà qu...