Prologue

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"Tout finit afin que tout recommence, tout meurt afin que tout vive" Jean Henri FABRE

Je m'appelle Anna.
Ils ont dit que je m'appelais Anna.
Est-ce vrai ?
Je crois que oui.
Il me semble que je me suis évanouie comme ça, sans raison.
Je ne me souviens plus trop. Il paraît que c'est l'âge. C'est ce qu'ils m'ont dit.
Je dois être à l'hôpital parce que tout est blanc autour de moi. Même les meubles.
Il y a quand même une touche de couleur dans cette uniformité un peu morbide. Ce sont des pivoines, mes fleurs préférées. Je ne sais même plus qui me les a amenées.
J'essaie de m'asseoir mais je n'y arrive pas. Mon corps a l'air tellement lourd. Je me sens si lasse.
Ça vient peut-être des médicaments qui transitent par la perfusion qui est plantée dans mon bras.
Comme je n'arrive pas à bouger, je regarde mes mains.
Elles n'ont pas l'air d'avoir changé, elles sont toujours aussi ridées. Pourquoi auraient-elles changé d'ailleurs ?
Pourtant, j'aurai tant voulu les voir comme elles étaient il y a si longtemps maintenant.
De petites mains aux doigts fins sans ces taches de vieillesse, sans cette peau fanée comme les pivoines posées sur la table de nuit à côté du lit sur lequel je suis allongée.

Pourquoi est-ce que je ne me souviens pas exactement de ce qui m'est arrivé ?
Ce n'est pas la première fois, j'en suis sûre.
Je crois même que ça m'arrive de plus en plus souvent ces derniers temps. C'est tellement frustrant de ne pas pouvoir se souvenir.
Il me semble aussi qu'il manque quelqu'un à mes côtés.
Où est-elle ? Où est Margaret ? Pourquoi n'est-elle pas avec moi ?
Ah si... Je me souviens maintenant. Elle est partie. Elle m'a laissée seule.
Je me sens si vide sans elle.
Je crois que la fin est proche.
C'est ça.
Ma fin est proche.
Je crois que je le sais depuis un moment maintenant et je suis sereine. Quand j'étais jeune, j'avais peur de la mort mais je n'ai plus peur aujourd'hui. Peut-être parce que je serai délivrée et peut-être parce que je retrouverai ma liée, ma Margaret.

En outre, ma vie a été bien remplie, bien plus que celle de la plupart des gens. Vous pourriez me demander si elle a été belle ? Je n'en sais rien. En tout cas, je l'ai menée du mieux que je pouvais. J'ai aimé mon mari et j'ai eu une fille superbe, j'ai travaillé du mieux que j'ai pu et la paix est revenue. Mais surtout, j'étais liée et ça a été le plus grand bonheur de ma vie.
Ça y est, je suis prête à partir. Je vais la retrouver.
Je m'en vais.

Au revoir...

........

- Est-ce qu'elle est... ?
- Oui.
- Je suis désolé. Nous l'aimions tous beaucoup.
- Je sais. Et je t'en remercie.
- Tu sais, il va falloir prévenir les autres. Il faudra la chercher. Enfin, si sa mission n'est pas finie. Elle est trop importante.
- Oui. Mais pas tout de suite. Ça peut bien attendre quelques jours. Je voudrais pleurer ma mère avant.

........

Pendant plusieurs générations, les descendants d'Anna l'avaient cherchée.
Sa fille avait laissé des instructions précises. Ils avaient examiné toutes les petites Anna qui naissaient. A chaque fois que l'une d'elle s'était avérée être télépathe, ils avaient  scruté son esprit pour savoir si leur aïeule s'était réincarnée en elle. Ça avait été un travail colossal. Heureusement, les Guetteurs les avaient beaucoup aidés dans leur tâche. Mais tout ceci avait été vain.

Après des années de recherches qui n'avaient pas donné de résultats, l'un de ses arrière-arrière-arrière petit-fils avait un jour conclu que son aïeule devait avoir fini sa mission sur cette terre et qu'il était temps maintenant de tirer un trait sur toute cette histoire plutôt lourde à porter pour toute sa famille.
Le monde d'alors n'était pas fait pour vivre dans le passé. Et il fut bien content de ne plus avoir à se soucier de cet héritage qu'il trouvait si dérangeant. Il voulait vivre sa vie tranquillement et pouvoir faire enfin ce dont il avait toujours rêvé.

Il partit donc s'installer à la montagne dans la ville de Bionnassay-Vancroft qui se trouvait au pied du Mont-Blanc et qui portait ce nom depuis la fin de la guerre des Esprits en souvenir de l'ascension de ce sommet par le chef du gouvernement de l'époque. Il n'avait pas pu s'empêcher d'accoler son nom pour la postérité et pour montrer également son pouvoir total sur le monde.
L'héritier d'Anna n'abandonna cependant pas sa mission de Guetteur qui lui tenait particulièrement à cœur et aida toujours ses confrères dans leur mission. Il transmit toutes ses connaissances à ses enfants qui furent ravis d'appartenir, à leur tour, à une sorte de société secrète.
Ceux-ci et leurs descendants continuèrent à perpétuer la tradition familiale.

........

Luce n'en pouvait plus...
Son ventre lui pesait tellement ces derniers temps...
Elle attendait avec tellement d'impatience mais aussi une peur bleue que sa fille naisse...
Serait-elle une bonne mère ? Comment l'accouchement allait-il se passer ? Sa fille se porterait-elle bien ? Allait-elle l'aimer au premier regard comme tout le monde le disait ?
Comme elle en avait marre d'attendre...

Elle ne savait plus quoi faire pour s'occuper. Elle n'avait plus la patience de lire, elle n'arrivait plus à marcher longtemps et ça la désolait.
Elle n'en pouvait vraiment plus.
Elle grimaça...
Cette contraction n'était pas pareille que toutes les dernières... Elle était un peu plus forte que les autres. Et surtout pas au même endroit. Celle-là était dans le dos.
Celles qui suivirent lui ressemblèrent en tout point... Et en plus, elles se rapprochaient.
D'erratiques, elles étaient maintenant régulières et survenaient toutes les 5-6 minutes.
Au bout de deux heures à tourner en rond, elle décida d'appeler Frank...
Il fallait qu'il revienne du travail, elle sentait que c'était le moment...
Le temps qu'il arrive, les contractions s'étaient encore bien rapprochées.
Ils partirent à la maternité, dans un état second, partagés entre l'excitation et la peur.
Luce remarqua à quel point il faisait beau et chaud.
Pourtant on était en octobre.
Pourquoi le temps qu'il faisait lui semblait tout à coup si important ?

Luce fut prise en charge rapidement. Son col était déjà bien ouvert et la sage-femme la félicita d'avoir tenu bon tout ce temps. Mais ce n'était que le début.
Étant médecin elle-même, Luce n'avait pas envie que ce moment soit médicalisé. Elle voulait, pour une fois, écouter son corps et laisser la nature faire son travail. Elle refusa donc toutes les aides médicamenteuses qu'on lui proposa. Elle jura tout ce qu'elle savait, insulta le personnel, broya les mains de Frank un nombre incalculable de fois et fut à deux doigts de craquer et de demander de l'aide mais elle tint bon.
Et finalement, après une dizaine d'heures de travail, de contractions, de douleur d'une intensité parfois difficile à supporter, la délivrance arriva.
La sage-femme posa sur elle sa fille, leur fille.
Elle était si petite. Elle semblait si fragile.
Frank lui tenait la main et regardait d'un drôle d'air le petit être posé sur le ventre de sa femme. Il pleurait.
Luce regarda sa fille. Elle avait déjà plein de cheveux. Mais ce qui la perturba le plus, ce fut le tout premier regard qu'elles échangèrent.
Elle se souviendrait à tout jamais de cet instant.
Elle ne savait pas si c'était normal ou pas mais elle eut l'impression de voir le monde à travers les yeux de son enfant.
Elle eut l'impression que les yeux qui l'observaient étaient sans âge et qu'ils en savaient plus sur le monde qu'elle-même. C'était très bizarre et extrêmement troublant.
Elle serait restée comme ça pendant des heures et des heures mais la sage-femme rompit cet instant si particulier en demandant aux jeunes parents comment s'appelait cette petite poupée.

Frank et Luce répondirent à l'unisson.

- Anna. Elle s'appelle Anna.

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J'ai donc entrepris comme je vous l'ai dit de réécrire Anna.
Voilà donc le prologue remanié...

Anna - In Their Minds (tome 1: Rencontres)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant