« Les montagnes ne vivent que de l'amour des hommes. Là où les habitations, puis les arbres, puis l'herbe s'épuisent, naît le royaume stérile, sauvage, minéral ; cependant, dans sa pauvreté extrême, dans sa nudité totale, il dispense une richesse qui n'a pas de prix : le bonheur que l'on découvre dans les yeux de ceux qui le fréquentent » G. Rébuffat
L'été fut bien rempli.
Même si je savais que la famille de Thomas habitait à la montagne depuis très longtemps, je compris pourquoi ils n'avaient jamais quitté cet endroit.
Outre le fait que la vallée était incroyablement belle, il n'y avait rien de mieux pour un bon entraînement aussi bien physique que mental.Je n'avais jamais vraiment fait de sport auparavant.
Mes parents ne tenaient tellement pas à ce qu'on me remarque que je ne faisais que les cours de sport de l'école. Je crois que ça m'avait toujours manqué. Les autres Anna, elles, en faisaient. Tous les sports possibles et imaginables y étaient passés. La plupart n'existaient même plus. Et je n'arrivais même pas à voir les noms de certains dans mes souvenirs.
Comme mon père était professeur de musique, il m'avait appris à jouer de la guitare et je devais admettre que j'étais assez douée. Certaines de mes vies précédentes en jouaient aussi alors l'apprentissage avait été d'autant plus simple pour moi.
De plus comme papa, j'avais l'oreille absolue. Entendre les notes nous donnait un avantage considérable dans l'étude de la musique et nous permettait en plus de chanter juste. Contrairement à ma mère qui, même en essayant tant bien que mal, n'arrivait qu'à fredonner sans que ça sonne correctement. Nous nous étions d'ailleurs toujours moqués d'elle gentiment.
L'apprentissage d'un instrument et exercer mon oreille m'avaient demandé de la rigueur et je retrouvais dans l'entraînement que Thomas m'imposait le même genre d'engagement dont on devait faire preuve quand on voulait vraiment maîtriser un instrument. C'était difficile mais quand les résultats étaient probants, cela devenait exaltant.Thomas avait commencé par me faire faire de la randonnée. Au début sur des chemins plutôt faciles. On partait pour deux ou trois heures, tout au plus, histoire de me mettre dans le bain. Après chaque sortie, j'avais des courbatures et mal aux pieds. Mais Thomas ne me laissait pas de répit. Au fil des jours, je m'habituai et Thomas augmenta la durée des randonnées. Nous partîmes même plus d'une fois, avec Zacchary, plusieurs jours en totale autonomie.
Au fur et à mesure, la difficulté s'accrut, elle aussi. La gentille petite randonnée pédestre laissa place à la randonnée glaciaire et finit en alpinisme pur et dur.
Je me sentais toute petite face à ses sommets aux neiges éternelles mais aussi tellement puissante quand j'arrivais à me dépasser et faire quelque chose que je n'aurais même pas imaginé quelques mois plus tôt. Je me sentais vivante. Comme jamais je ne l'avais été auparavant. C'était si excitant.
Parallèlement à la randonnée, Thomas et Zacchary m'emmenèrent faire de l'escalade. J'avais tout de suite adoré ce sport. Mon niveau augmenta très rapidement. J'avais toujours été souple et je n'avais pas le vertige ce qui m'avantageait fortement. On allait en falaise ou en grandes voies mais ce que je préférais par-dessus tout, c'était le bloc. Grimper sans corde sur des rochers de faible hauteur (ils montaient quand même parfois jusqu'à cinq ou six mètres) en devant utiliser un maximum de technique, de souplesse et surtout sa tête me plaisait à un point inimaginable.
Je n'avais jamais connu un tel sentiment de bien-être que quand je me trouvais au sommet d'une montagne ou après avoir grimpé pendant des heures.
Pourtant, c'était très dur. L'altitude qui raréfiait l'air, l'engagement de certaines voies, les conditions climatiques. La montagne qui était, est et sera toujours plus forte que vous, pauvre petit homme qui essaie de la braver sans jamais pouvoir la faire plier. La montagne était toujours la plus forte et c'était elle qui nous donnait ou non la chance et l'opportunité d'aller jusqu'au sommet. Les accidents qui survenaient dans la vallée nous le rappelaient régulièrement.
Il fallait savoir renoncer, il fallait savoir reconnaître que nous n'y arriverions pas ou au contraire que si, nous pouvions le faire.
Nous partions souvent avec des amis de Thomas qui ne connaissaient rien de mon entraînement.
Il me fallait, à ce moment-là, apprendre à travailler en équipe, la cordée étant plus importante que l'individu. Il fallait apprendre à gérer les plus faibles, tempérer les casse-cou. Et Thomas me faisait faire ça par télépathie. Je lisais dans l'esprit des gens si tout allait bien pour eux, s'ils avaient peur ou s'ils étaient trop téméraires. Il m'apprenait comment les manipuler pour qu'ils ne compromettent pas la cordée.
Je ne savais pas si je m'en sortais bien. Mais j'aimais ça.
C'était une révélation. Je me disais que s'il y avait un métier que je rêverais de faire, c'était bien guide de haute montagne. C'était un art qui existait dans mes souvenirs.
Malheureusement, ce n'était pas vraiment un travail d'avenir à cette époque.
Prendre des risques n'était pas dans l'air du temps et le gouvernement voyait d'un mauvais œil les métiers comme ceux-là pour la liberté totale et le « pouvoir » qu'ils offraient.
En plus, vu que la mission de la dernière Anna n'était pas finie et que j'avais, a priori, une part importante à jouer dans tous les événements qui suivraient, rester ici à fuir ce qui m'était destiné ne servirait malheureusement à rien. L'histoire se répéterait.
Je me disais que si j'arrivais à réaliser cette destinée, là où toutes les précédentes Anna avaient échoué avant d'être trop vieille, je pourrais peut-être devenir guide. Cette vie en hauteur serait à ma portée. J'avais un objectif. Et il m'aidait à tenir quand je faiblissais.
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Anna - In Their Minds (tome 1: Rencontres)
Khoa học viễn tưởng"Je m'appelle Anna, je suis télépathe. J'ai déjà vécu de nombreuses vies. Celle-ci sera, je l'espère, la dernière." Anna lit dans l'esprit des autres et ce depuis sa naissance au moindre regard échangé avec quelqu'un. Est-ce une chance ou une malédi...