Chapitre 3

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« J'ai vécu assez pour voir que la différence engendre la haine » Stendhal

Depuis mes 2 ans, mes parents avaient scrupuleusement suivi les recommandations de l'autre Anna. Tous les 2 ans, nous avions déménagé comme Maman le lui avait promis.
Ils avaient sacrifié leurs vies pour moi. Ma mère ne travaillait plus que dans de petits dispensaires alors qu'elle avait été, avant ma naissance, un grand médecin. Mon père, qui donnait des cours de piano à domicile, perdait ses élèves à chaque déménagement et avait beaucoup de mal à en trouver de nouveaux.
Nous avions toujours évité les grandes villes de peur de tomber sur des gens malintentionnés envers moi.
Tous les 2 ans, j'étais allée dans une nouvelle école. Pour moi, c'était l'enfer. J'étais constamment la nouvelle et j'étais le plus souvent la bête noire des élèves de ma classe. Ils ne m'aimaient pas. Ils me trouvaient différente d'eux.
Ils n'avaient pas tort, je devais bien l'avouer.
Ces dons, ces pouvoirs (appelez-les comme vous voulez) dont j'ai hérité faisaient que d'une part j'étais une "trop" bonne élève et d'autre part que je ne me permettais pas de regarder les gens en face et ça ne leur plaisait pas du tout.
Mes instituteurs prenaient ça pour de la timidité, mes camarades de classe pour du défi.
De temps en temps, je levais les yeux vers eux et ça ne m'enchantait jamais de savoir ce qu'ils avaient en tête. Surtout quand cela me concernait. Je trouvais leurs pensées puériles et méchantes.
Une seule fois, j'avais eu une amie. C'était pendant le premier cycle de mes études. Je devais avoir 8 ou 9 ans. Elle s'appelait Sara. Elle aussi déménageait souvent. Notre statut similaire de nouvelles avait fait que nous nous étions immédiatement entendues. Nous étions tout le temps ensemble. C'était facile, je ne la jugeais pas et je savais qu'elle non plus. Je l'avais regardée une fois en douce et ce que j'avais vu dans son esprit m'avait plu. Il était beau.
Mais elle est partie à l'autre bout du monde au bout de seulement quelques mois. Je m'étais de nouveau retrouvée seule. Et mon amie me manquait. J'en avais pleuré des nuits entières.

Les années passaient. Je grandissais et j'avais appris à ne plus regarder les gens du tout.
À la maison, tout se passait bien. Mes parents étaient des gens merveilleux.
À l'école, j'étais toujours la meilleure élève de ma classe. Mes instituteurs m'adoraient. Mais avec mes camarades, tout était différent. Nos relations étaient, dans le meilleur des cas, inexistantes. Le plus souvent malheureusement, elles étaient catastrophiques.
L'année de mes 15 ans fut la pire de toutes. J'avais fini le deuxième cycle de mes études. Je rentrais dans le troisième. Le début de l'année s'était passé, pour une fois, sans heurt. Les élèves de ma classe avaient l'air sympathiques. Ils avaient même été tout de suite gentils avec moi. Au bout de quelques mois, je restais avec un petit groupe d'élèves et un des garçons de la bande me tournait autour. Il s'appelait Noah. Il était plutôt mignon avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus.

Il m'avait draguée pendant un moment et il restait souvent seul avec moi. J'appréciais vraiment sa compagnie. Nous parlions de nos enfances respectives, de ce qu'on aimait. On se promenait la main dans la main. Je me sentais à l'aise en sa présence mais je n'osais cependant pas le regarder dans les yeux.
Et puis, un jour, je le croisai, lui et les autres, en revenant chez moi. En m'apercevant, ils s'étaient tous mis à rire. Je ne comprenais pas vraiment pourquoi. Je m'approchai d'eux et comme ils faisaient mine de m'ignorer, j'interpellai Noah et me décidai enfin à lever les yeux vers lui. Au moment où je pénétrai dans son esprit, je me rendis compte alors que toute cette histoire n'était qu'un jeu, une sorte de pari pour voir ce qu'était capable de faire la nouvelle et comment ils arriveraient à m'humilier.
Je n'étais rien pour eux. Je m'enfuis en courant, leurs rires ignobles me broyant le cœur.
Je savais qu'on ne m'aimait pas mais ce jour-là, je compris que certaines personnes étaient mauvaises par nature. Ils avaient joué avec moi. Et ils avaient gagné.
En rentrant à la maison, j'avais supplié mes parents de ne pas m'obliger à retourner encore une seule journée mais aussi une seule année de plus en cours. Ils ne pouvaient pas lire dans mes pensées mais ma tête devait être suffisamment éloquente pour qu'ils acceptent. Heureusement, la fin de l'année scolaire approchait.
Comme Maman avait peut-être trouvé la piste d'un Guetteur, nous partîmes encore une fois.

Anna - In Their Minds (tome 1: Rencontres)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant