Les cernes noirs [Taegi]

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L'automne débutait, accompagné par les dernières chaleurs estivales qui se vautraient sur la capitale coréenne. Les ramées se teintaient de couleurs flamboyantes, les parcs prenaient des airs de brasiers gigantesques que le vent faisait frémir. Les rues de Séoul se remplissaient dès les premiers rayons de l'aube et jusque bien après les ultimes lueurs vespérales, et aux éclats de voix se mêlaient les ronronnements des moteurs.

Yoongi habitait seul dans un appartement dans lequel il ne vivait pas – il se contentait d'y dormir. Ainsi, ce matin-là, comme à l'accoutumée, il n'attendit pas la sonnerie de son réveil pour bondir de son lit, filer à la salle de bains puis, moins de dix minutes plus tard, quitter son domicile habillé et coiffé. Il avait remis en ordre les mèches brunes qui s'éparpillaient pendant son sommeil, et il avait revêtu un costume banal d'employé de bureau, comme en portaient tous les jeunes hommes dynamiques qui ne formaient plus qu'une masse de tissu noir et blanc.

Il ne s'inquiétait jamais des cernes profonds qui marquaient son regard éteint, ni de son teint hâve ou de sa silhouette efflanquée. Ses pommettes saillaient au-dessus de ses joues creusées, et plus les jours passaient, plus il se sentait flotter dans des habits jadis ajustés. Or, de l'instant où il ouvrait les paupières après une courte nuit de repos jusqu'à ce que de nouveau la torpeur prenne le dessus, pas une seconde ne s'écoulait sans qu'il se concentre sur l'essentiel : son travail.

Secrétaire du directeur d'une célèbre entreprise d'électroménager, Yoongi devait arriver avant ou en même temps que son patron, et il ne partait qu'une fois ce dernier parti. Ses journées se résumaient à accompagner l'homme dans chaque déplacement, à chaque réunion, à rédiger et s'occuper pour lui de quantité de papiers, et bien sûr à subir en l'acceptant sa constante mauvaise humeur.

Il s'épuisait depuis exactement seize mois à la tâche. Il tentait de se convaincre que sa situation finirait par s'améliorer, que ses efforts paieraient : avec son haut niveau d'études et sa dévotion sans failles, il savait pouvoir prétendre à un emploi à responsabilités. Néanmoins, son supérieur paraissait satisfait de son nouveau souffre-douleur, de sorte qu'il n'avait pas l'air pressé de lui offrir ce qu'il convoitait tant.

Seize mois.

Yoongi se gara près du vertigineux bâtiment de l'entreprise, passa en coup de vent dans le Seven Eleven où il s'achetait chaque matin un unique onigiri qu'il avalait en vitesse, puis il se rendit dans le bureau où il lui restait quelques dossiers à trier avant l'arrivée du PDG.

Il était sept heures vingt.

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Yoongi quitta son bureau peu après son supérieur, aux alentours de vingt-deux heures trente. Il ne restait qu'eux et l'équipe de sécurité qui veillait sur les lieux la nuit. Ils connaissaient bien ce jeune homme dégingandé qui, le port droit au matin, finissait le dos courbé par le poids de la fatigue une fois la lune levée.

Le secrétaire poussa d'un geste tremblant la porte principale et descendit d'un pas lourd les trois marches qui le séparaient de la chaussée. Dans ce court intervalle, la fraîcheur nocturne le fouetta avec une véhémence telle qu'il ressembla un instant à un roseau au beau milieu d'une tempête, frêle et maltraité par les éléments.

Il claquait des dents et quand il atteignit le Seven Eleven, son estomac rugissait de détresse. Il s'offrit un plat qu'il réchauffa sur place, dans un micro-ondes disponible au fond du magasin où il s'attabla ensuite. Il mâchait de façon distraite, tentant de ravaler sa frustration : l'entreprise avait perdu deux jours plus tôt un important client, un contrat qui se chiffrait en millions de yens. Cet après-midi, il avait fallu l'annoncer aux investisseurs, et ils ne s'étaient pas montrés cléments.

Mélodie [Recueil d'OS Kpop]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant