Histoires De Rémission

3

Harry savait que Rogue était réveillé puisqu'il avait entendu des bruits dans une pièce adjacente à sa chambre. Il se dirigea dans cette direction et appela son ancien professeur.

Il entendit assez rapidement une porte s'ouvrir. Puis les pas discrets de Rogue qui s'approchaient de lui.

« Que me vaut l'honneur de ce spectacle matinal Potter ? Renifla-t-il.

- Il faut que nous parlions, Rogue, déclara-t-il avec fermeté.

- Et par quel miracle Potter, espérez-vous m'ordonner quoi faire ?

- Je ne vous ordonne rien, souligna-t-il.

- Qu'est-ce qui vous fait penser que je vais me soumettre à votre petit jeu ?

- Parce que vous savez pertinemment que c'est nécessaire. »

Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Harry n'avait pas la moindre idée des réactions qu'il pouvait ou non provoquer en Rogue. C'était assez déconcertant. Ça l'était d'autant plus avec l'homme qui aimait rester discret et réservé.

Finalement, l'air sembla se mouvoir autour de lui et il sut que Rogue s'était mis en route vers le salon. Il prit cela pour une acceptation et le suivit docilement jusqu'au séjour.

Il entendit Rogue s'asseoir dans un siège et lui-même s'installa dans le fauteuil de la veille.

« De quoi voulez-vous parler Potter ? »

Harry réfléchit un moment à la manière d'aborder la discussion. Il aurait aimé établir le contact visuel avec Rogue à cet instant. Harry espérait que son visage parlait de lui-même et qu'il n'avait pas l'air mal-intentionné.

« Il s'agit de vos mains, n'est-ce pas ? Demanda Harry doucement.

- Je ne sais pas ce que vous pensez avoir trouvé Potter mais je vous conseille d'arrêter votre petit jeu maintenant, cracha Rogue.

- Ça ne m'est pas apparu tout de suite, confia Harry. Mais cela expliquerait beaucoup de choses. Quand je suis arrivé, j'ai cru que vous aviez un animal. C'est ce qu'indiquaient les grattements contre la porte. Ce n'était en réalité que vos mains qui tremblaient. Quand nous sommes arrivés dans votre salon, vous ne m'avez rien proposé à boire. Peut-être étiez-vous contrarié par ma présence mais vous n'êtes pas quelqu'un de malpoli. Vous avez préparé des sandwichs pour le dîner, et malgré cela, vous avez fait tomber plusieurs ustensiles. C'est le repas parfait qui ne nécessite pas de couverts pour être mangé. Et je gage que vous ne vouliez pas que je comprenne trop vite la situation. Vous n'avez pas utilisé de magie depuis que je suis ici, où alors aucune magie verbale. Cela expliquerait également pourquoi vous vous êtes autant énervé quand je vous ai demandé si vous pouviez me brasser une potion pour ma vue. »

Harry ménagea une courte pause.

« Vous aussi vous avez souffert de cette guerre. Autrement que de par votre rôle d'espion. Vos mains ont été touchées. Est-ce cela ? Demanda Harry avec douceur. »

Il y eut un long silence et Harry n'avait pas besoin de voir pour savoir que Rogue était tendu et lutait probablement pour ne pas perdre son sang froid. Être exposé ainsi était sans doute assez humiliant pour lui. Aussi Harry resta silencieux et, l'espérait-il, aussi calme et avenant que possible.

Finalement, Rogue rétorqua avec une voix amère :

« Si j'avais su que perdre la vue vous rendrez perspicace, il y a longtemps que je vous aurais crevé les yeux, Potter. »

Harry s'autorisa à rire.

« Avouez que cela vous aurait beaucoup plu.

- J'aurais jubilé, Potter, répondit-il avec une pointe sarcastique qui n'était plus si venimeuse. »

Il y eut un silence qui avait gagné en légèreté. L'abcès était crevé. Et les deux sorciers pouvaient se détendre. Harry ne demanda pas de détails à Rogue. Il s'estimait déjà heureux de s'en tirer à si bon compte. Chaque chose en son temps. Les réponses viendraient si Rogue le souhaitait, au rythme qui lui conviendrait.

« Et si nous préparions le déjeuner ? Proposa Harry avec douceur. Je serai vos mains, vous serez mes yeux. »

Rogue émit un petit reniflement amer avant de déclarer :

« Allons-y Potter. Ce n'est pas tous les jours qu'on a l'occasion d'être au service du Sauveur, après tout, railla-t-il. »

Harry se contenta de sourire et suivit Rogue en cuisine.

« Que voulez-vous manger ?

- Je n'ai pas grand chose Potter. Je me contente du strict minimum et d'aliments simples. »

Harry hocha la tête, compréhensif. Lui-même ne s'était pas aventuré dans des plats trop complexes ces dernières années.

« Vous avez des pâtes, des courgettes et de l'ail ?

- Oui, Potter. Le frigo est sur votre droite. Les légumes sont dans le bac inférieur. Vous reconnaîtrez sûrement la courgette à sa forme... »

Harry obtempéra.

« Les couverts sont à la gauche du frigo, dans le deuxième tiroir. Au dessus de vous se trouve un placard. Non, pas celui-ci, celui sur votre gauche. Oui, très bien, sur la première étagère se trouvent les pâtes.

- Quelles sont les pâtes ? 

- À vous de me le dire Potter ? Que devinez-vous ?

- Des pennes ?

- Très juste. Être aveugle vous rend décidément d'une intelligence rare, railla-t-il.

- Ne pas vous voir vous rend moins grincheux, répondit Harry avec un ton taquin.

- Je ne suis pas grincheux.

- Et moi je suis le roi des Potions, rétorqua Harry avec un grand sourire.

- Espèce d'impertinent, marmonna Severus. »

Le sourire de Potter s'élargit encore. Et Severus n'aurait pas dû lui trouver une familiarité réconfortante.

Severus dicta la conduite de Potter d'une voix ferme, mais pas aussi sévère que sa voix d'enseignant. Il y avait une étrange satisfaction à observer Potter travailler sous ses ordres, rectifier ses gestes sous ses remarques. Le jeune homme avait gagné une habilité que Severus ne lui connaissait pas. Et il était agréable de contempler un mécanisme si simple que la cuisine se mettre en place.

Petit à petit, Severus se détendit tout à fait, et il se surprit même à apprécier le moment. Cela faisait 3 ans que la guerre avait prit fin. Et autant de temps qu'il n'avait pas été en contact avec une quelconque présence. Potter était devenu un peu moins insupportable que dans son souvenir. Et son contact avait quelque chose de familier que Severus ne pouvait pas tout à fait détester.

Ils mirent la table et s'installèrent autour du plat de Potter.

« Vous voulez que je vous donne la becquée, Rogue ?

- Dans vos rêves, Potter. »

Harry sourit à Rogue et prit son temps pour manger sa propre assiette. Le tintement des couverts indiquait les tremblements qui parcouraient les mains de Rogue. Toutefois cela ne dérangeait pas Harry.

« Enlevez-les, demanda subitement Rogue.

- Je vous demande pardon ? Reprit Harry, confus.

- Vos lunettes et vos lentilles, Potter. Enlevez-les. »

Harry hésita un instant avant de hausser les épaules. Il ôta ses lunettes et ses lentilles.

Severus resta un instant bloqué sur les yeux blancs de Potter. Il y avait quelque chose de dérangeant dans l'image du jeune homme ainsi désinvolte face à son propre sort. Pourtant l'hypocrisie du monde sorcier était encore pire.

« Pourquoi cette demande ? Interrogea-t-il simplement.

- Il est déjà assez hypocrite de la part du Ministère de nous avoir rassemblé comme des déchets encombrants. Je ne tolérerai pas une autre de leur comédie. »

Le repas se déroula sans incident.

Harry songea qu'il pourrait s'habituer à vivre sous le même toit que Rogue.