Chapitre 1

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En plein mois de juillet, la chaleur était difficilement supportable. La famille s'est retrouvée au complet, comme tous les ans pendant les vacances.

Madame Marceau s'était levée tôt ce matin pour préparer la maison. Son homme avait fait les courses pour le repas du midi.

Ainsi, tout était prêt lorsque les premiers invités ont pointé le bout de leur nez. Avant treize heures, la majorité des invités étaient présents. Il ne manquait plus que Tati Jackie.

Quelle diva ! Elle se faisait toujours attendre. Tout le monde savait qu'elle attendait toujours cinq minutes dans sa voiture afin d'arriver en retard pour se faire remarquer. Tout le monde le savait. Mais personne ne faisait de remarque. C'était l'habitude. Tati Jackie devait être en retard.

En réalité, elle le faisait pour son défunt mari. Celui-ci avait une manie d'arriver toujours avec au minimum cinq minutes de retard. Elle voulait garder le rituel. Alors quand il est décédé, au-delà de ses 93 ans, Tati n'a pas voulu changer cela, pour lui.

Tati a vécu le rêve de tous. Mariée dès son plus jeune âge avec "l'homme de sa vie". Elle savait qu'ils étaient fait pour être ensemble. Ils se sont rencontrés très jeunes, ont eu des enfants très jeunes. Elle pensait mourir avec lui. C'était sa vision de l'amour. Mais le sort en a fait autrement. Elle a survécu, et elle s'est battue pour lui. Elle a réalisé les rêves qu'il n'a pas pu accomplir.

Pour lui, elle a été à Londres, là où il est né. Tati Jackie est une battante. Tati est prête à tout pour l'amour de sa vie. Même aller dans un pays étranger, sans aucun repère, à 90 ans. Elle disait "il faut que j'y aille. Et si je meurs là-bas, alors c'est que c'était écrit".

Elle commence à perdre la tête. De plus en plus souvent, elle confond ses petits enfants, ses petits neveux et arrières petits enfants. C'est qu'il y a un beau petit monde dans cette famille.

Toute la famille actuelle a toujours connu Tati. Elle est le pilier fondamental. Et tout le monde est heureux d'avoir pu la rencontrer. Elle donne envie d'avoir des enfants, juste pour dire "tu as connu Tati Jackie et tu as eu de la chance".

En arrivant, elle a évidemment pris toute l'attention. Chacun l'a salué. Certains étaient fiers d'être reconnus du premier coup. D'autres étaient gênés "moi c'est Jeanne, Tati", accompagné d'un petit rire de malaise.

Et pourtant, Tati Jackie aime tout le monde. Et tout le monde aime Tati Jackie.

Elle s'est installée en bout de table, ayant le plaisir d'admirer toute sa petite famille. Sa sœur cadette discutait avec son mari, juste à côté d'elle. Ils semblaient parler du bon vieux temps, de leurs enfants et comment ils avaient évolué depuis ces dernières années.. Ils avaient eu deux fils juste après leur mariage. Deux adorables enfants qui étaient en train de s'affairer au barbecue. Monsieur Marceau, le premier fils, était enseignant en élémentaire, tandis que son frère était comptable.

Monsieur Marceau s'est marié à 25 ans, juste après la naissance de leur fille, Eva. Alors que Madame Marceau était secrétaire à l'hôtel de ville, elle est tombée enceinte de son deuxième enfant, Michael.

Aujourd'hui, Michael avait presque la trentaine. Il était assis à l'autre bout de la table à côté de sa fiancée, Olivia. Ils se sont rencontrés trois ans auparavant. Et depuis, ils nageaient dans le bonheur.

Michael travaillait déjà dans son entreprise en tant qu'architecte. Il avait, depuis peu, intégré un chantier pour une rénovation d'une enseigne prestigieuse de lingerie. Il s'était occupé des plans, et il venait souvent sur les lieux pour voir si tout se déroulait comme prévu. Il avait, pour cela, rencontré la responsable de la boutique.

Michael s'en rappelle encore. Elle était habillée d'un petit chemiser blanc ainsi que d'un pantalon en toile noire. Il n'avait pas pu empêcher son regard de dévier sur ses formes. Rien d'insistant. Juste un tout petit regard. Il ne s'était pas autorisé à plus et avait retrouvé son professionnalisme. En plongeant ses yeux dans les siens, il avait senti une légère tension. À l'époque, il n'aurait pas pu savoir de quelle tension il s'agissait en réalité. Il est passé outre et a demandé son nom.

"Madame ?

- Appelez-moi Olivia. Et vous-êtes monsieur Marceau ?

- Appelez-moi Michael. Il lui a répondu dans un sourire qui aurait pu la faire tomber.

- Très bien, Michael. Son prénom dans sa bouche sonnait comme une mélodie. Quand pensez-vous que les travaux seront finis ?

- Plus tôt que je le voudrais, je le crains.

- Quand voudriez-vous qu'ils finissent ? Elle rentrait dans son jeu.

- Jamais. Ou le plus tard possible.

- Alors pourquoi perdons-nous notre temps ?

- Je me posais la même question. Il a cherché dans sa veste, puis il lui a tendu une petite carte. Au besoin, n'hésitez pas.

- Merci. A-t-elle dit en prenant la carte. En réalité, j'ai déjà vos contacts sur le devis et les autres papiers.

- Je sais. Ce ne sont pas les mêmes. Sur ceux-ci, je suis joignable à tout moment. Elle a souri. Je dois y aller, au plaisir de vous revoir Olivia.

- Également, Michael."

Personne ne sait qui de l'autre a joué de son charme pour se séduire. Sûrement un peu des deux. Au début, il n'y avait rien de sérieux. C'est parti d'une drague bancale, qui a marché pour tous les deux.

C'est au fil des entretiens, et de quelques rendez-vous privés qu'ils se sont rapprochés.

Ils l'avaient tous les deux sentis ce jour-là. Ce lien qui s'était créé. Ce désir pour l'autre, ainsi que cette tension emprunt d'amour.

Ils savaient, depuis le tout début. Ils savaient qu'ils étaient fait l'un pour l'autre.

La joie s'entendait dans le rire des enfants. On pouvait la voir dans les yeux des plus sages. On pouvait la ressentir tout autour de cette table bien organisée. Et surtout, on sentait l'amour entre tous.

C'est en fin de journée qu'ils décidèrent tous de se séparer pour rejoindre leur foyer respectif.

Le ventre bien plein, et le corps débordant d'ocytocine. 

~ ~

Dans la voiture, ils débordaient de bonheur. Olivia a exprimé qu'elle lui était reconnaissante. Elle n'avait jamais vraiment eu de grandes familles où tout le monde s'aimait. Elle a connu les séparations, les conflits, les cris, la violence, la haine mais pas l'amour et la joie. Et pourtant elle rêvait d'une grande famille, et Michael lui a offert.

Ils auraient pu échanger leurs vœux, ici, dans leur petite Opel Corsa bleue acier. Ils l'ont presque fait, en disant comme ils étaient heureux de s'être trouvés. Olivia était la première femme qu'il présentait à ses proches. Michael était le premier homme à lui avoir donné envie d'une union et de construire une famille.

Ils venaient de passer le château d'eau, signe qu'ils étaient bientôt arrivés. Michael a pris une inspiration et a déclaré :

"Je t'ai charmé pour satisfaire mon ego de mec, et au final, c'est moi qui suis tombé.

- Tu m'as embarqué dans ta chute. Je suis inconsidérément tombée amoureuse de toi.

- Tu me rends meilleur, merci d'avoir fait de moi ton presque mari.

- Merci d'avoir voulu que je devienne ta presque femme."

Il y a eu un petit regard qui montrait absolument tout ce qu'ils pensaient. Un petit regard qui n'a duré qu'une toute petite seconde.

Michael a regardé la route. Olivia a crié.

"Attention !" Et ce fût la dernière chose qu'elle ait prononcé.

La dernière avant que la voiture s'encastre dans une autre.

Une fraction de secondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant