Une fraction de seconde

Chapitre 4

Olivia n'a pas vécu dans une famille de rêve. Entre les conflits familiaux, elle a trouvé son seul réconfort en sa cousine. C'est la seule membre de sa famille avec qui elle a bien voulu garder contact. C'est avec elle, qu'elle garde ses meilleurs souvenirs d'enfance. Avec l'âge, les études, la famille aussi, et leur nouvelle vie d'adulte, elles se sont un peu éloignées et se voient moins souvent. Elles ne restent cependant pas moins soudées qu'avant.

Olivia était heureuse de la présenter à Michael, qui l'a très vite apprécié. Ce qui n'est pas très difficile quand on connait le personnage.

Frankie est le genre de personne qui te met à l'aise très rapidement. Elle a une confiance en elle hors du commun et pourtant elle n'est pas imbu de sa personne. Frankie est drôle et belle. Frankie, c'est le genre de fille qui peut attirer n'importe qui. Même une femme hétéro ou un homme homosexuel se retourneraient vers elle. Frankie, c'est la gentillesse incarnée et pourtant on sent qu'elle pourrait faire le mal si quelqu'un s'en prenait à elle. Elle est tout à la fois.

C'est ce qu'Olivia aime chez elle. En plus du fait qu'elle est la seule de sa famille à ne pas lui avoir tourné le dos et à l'avoir toujours soutenue.

Olivia se rappelle encore, le jour de ses cinq ans. Elle avait mis une jolie robe pour l'occasion. Ce sont ses grands-parents qui lui avaient offert. Elle était toute contente. Olivia était la petite lumière de la maison. Elle apportait de la joie dans cet endroit si triste et vide d'émotions. Comment ses parents en étaient arrivés là ? Elle ne le savait pas à cette époque. Elle était trop jeune pour comprendre. Tout ce qu'elle voyait, c'était la tristesse de ses parents. Sa maman noyait son chagrin et son papa l'extériorisait de manière violente.

Pour le jour de son anniversaire, sa maman avait fait un effort. Elle avait essayé de ne pas boire et d'être heureuse pour sa fille. Ça avait duré jusqu'à la fin du repas, ce qui était un exploit. Olivia y a vu un échec. Elle ne pouvait pas comprendre à quel point c'était difficile pour sa mère.

Son papa avait essayé lui aussi, mais il était incapable de lui donner tout l'amour dont elle avait besoin. Au moins, il avait essayé de rester calme, jusqu'à ce que sa mère recommence à boire.

Résignée et déçue encore une fois, la petite Olivia est allée s'enfermer dans sa chambre. Elle n'avait même pas envie de jouer. La petite lumière qu'elle était commençait à s'éteindre.

C'est là que Frankie est arrivée. Elle est entrée dans sa chambre, et le visage de sa cousine s'est illuminé, éclairant toute la pièce.

"Tu ne devrais pas être triste. Et encore moins le jour de ton anniversaire. Moi je t'aime fort Oli !" Elle lui a dit avant de lui tendre un petit paquet. Olivia l'a ouvert en déchirant le sopalin qui servait de papier cadeau. À l'intérieur, il y avait un bracelet fait de perles. On y voyait écrit "F ♡ O". Ce petit bijou était accompagné d'un dessin.

"C'est nous, quand on sera plus grande et qu'on aura une maison rien que pour nous." Leur innocence était adorable.

Olivia se rappelle encore ce jour. Elle a gardé le dessin, dans une pochette avec d'autres souvenirs de son enfance. Le bracelet n'a pas survécu. Elle a beaucoup pleuré quand il s'est cassé. Elle avait peur qu'en se séparant du bracelet, elle allait aussi se séparer de sa cousine. Heureusement non, et Frankie lui en a fait un nouveau l'année d'après. Celui-ci, Olivia ne l'a jamais porté. Elle ne voulait pas que son père lui casse une deuxième fois pendant un excès de colère. Elle l'a rangé dans sa pochette, à côté du dessin.

Michael n'a pas connu ça lorsqu'il était petit. Ses parents, et tous les autres membres de sa famille veillaient à ce que tout le monde soit heureux. Même s'il se chamaillait souvent avec sa sœur.

Le souvenir de son enfance qui l'a marqué, c'est le jour de rassemblement avec toute la famille. Comme à chaque été depuis des décennies, la famille se regroupait. C'était le moment de revoir les oncles et tantes qui habitaient aux quatre coins du pays. Pour les enfants, c'était leur jour préféré de l'année.

Et Michael, ainsi que sa sœur et ses cousins se rappelleront toujours de celui-ci.

Michael avait fêté ses 9 ans quelques mois plus tôt. Eva en avait 11, c'était la plus grande des enfants. Leurs petits cousins avaient entre 4 et 10 ans.

Après avoir passé un long moment à table, ils ont tous été joué dans le jardin, en laissant les adultes discuter de choses de grands. Au fond du jardin, ils couraient partout en jouant au loup, parfois à cache-cache. Ils devaient s'occuper avant le début de soirée, le moment où le soleil commencera à se coucher. La tradition voulait qu'ils fassent une gamelle. C'était leur jeu préféré, même les plus grands se prêtaient au jeu. Mais pour cela, ils devaient attendre la fin de journée. Alors en attendant, ils trouvaient des occupations.

Le terrain de la maison était très grand. C'était la maison des grands-parents, à la campagne. Tout au fond, les enfants étaient tranquillement entre eux. Il y avait une balançoire et une toute petite maison en bois. Derrière, on pouvait voir des arbres fruitiers et juste à côté il y avait un enclos. Ils n'y avaient jamais vraiment porté attention. Mais ce jour-là, ils étaient pressés de jouer à la gamelle. Ils ne tenaient plus en place et il fallait trouver quelque chose à faire.

Michael a regardé l'enclos.

"J'ai une idée !" Il a crié tout content. Eva a vu où son regard portait. Au début dubitative, elle s'est laissée entraîner par son petit frère parce que "c'est quand même très amusant".

Alors que tout le monde voyait un enclos avec des oies, Michael voyait la plus grande opportunité de sa vie. Ils sont tous rentrés dans la bassecours. Il y avait une dizaine d'oies autour d'eux. Michael n'a pas perdu son sang froid et il a organisé une course d'oies. Les enfants se sont bien amusés, on ne dira pas pareil pour les petites bêtes qui se sont faites courser pendant un bon moment.

Ça aurait pu en rester là... mais un petit a voulu aller aux toilettes. Il est sorti de l'enclos, en laissant accidentellement la porte ouverte. Les oies effrayées par les enfants se sont enfuies. Elles ont couru tout le long du jardin jusqu'à rejoindre la table où se déroulait le repas. C'était un fiasco total entre les oies qui couraient et les adultes tantôt en colère tantôt effrayés.

Ce jour-là, les enfants se sont fait gronder comme jamais ils ne l'avaient été. Et pour la peine, ils n'ont pas eu le droit de jouer à la gamelle.

Depuis, ils en rient encore, à chaque repas de famille. Michael en est fier, c'était son idée, sa course d'oies.

~ ~

Les parents de Michael ainsi que tout le reste de la famille ont été prévenus assez rapidement. Eva a prévenu Frankie. Elle savait que c'était la seule famille d'Olivia. Ils sont tous arrivés à l'hôpital, très inquiets. Ils ont attendu un moment avant de voir une infirmière.

"Est-ce qu'ils vont bien ?" "Il faut qu'on sache ce qu'il se passe." Les proches ne pouvaient pas rester sans réponse.

L'infirmière a parlé.

"Bonsoir. Vous êtes Monsieur et Madame Marceau ?

- Oui, nous sommes les parents de Michael. Comment ils vont ?

- Je suis désolée, je n'ai pas encore parlé aux médecins. Je sais que Michael était conscient à son admission, il est parti en chirurgie avec Olivia. Je reviens vous voir dès que j'ai des nouvelles."

Ils ont attendu des heures. Certains membres de la famille ont dû partir. Frankie est arrivée à son tour. L'attente était insoutenable, mais s'ils devaient attendre, c'est qu'il y avait encore de l'espoir. Ils s'accrochaient à ça, parce qu'ils savaient que leur vie pouvait basculer à tout moment.

L'infirmière accompagnée des chirurgiens est enfin revenue.

"Nous venons de sortir du bloc. Ils vont être emmenés en soins intensifs. Les opérations se sont bien déroulées, mais les prochaines heures vont être décisives. C'est à eux de se battre à présent. Vous pourrez les voir quand ils seront installés."

Il n'y a que le temps qui peut répondre à leurs questions. Ils se sont sentis tellement impuissants face à ça. Personne n'est capable de dire s'ils se réveilleront un jour. Il n'y a qu'à attendre et espérer.