6. LUI

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— Quatre fois en une semaine ! s'exclame Théo. J'en connais un qui a besoin de décompresser.

Un essuie sur les épaules, il s'avance vers moi pour se poser sur le banc à côté tandis que j'enchaîne les flexions de bras en développé-couché.

De nuit, l'établissement est désert. Seuls quelques oiseaux nocturnes viennent transpirer si tard. L'horloge numérique affiche presque minuit. J'aurais sûrement la sale gueule d'un zombie, c'est-à-dire le teint blafard avec un complément de cernes, demain matin. Mais, quand je suis énervé, je ne parviens pas à fermer l'œil. Alors pour évacuer la tension, j'enfile mes baskets, un jogging et un t-shirt, direction la salle. Le sport, un remède contre les insomnies vieux comme les chemins.

La barre effleure mon torse alors que je gaine ma ceinture abdominale. J'inspire à la descente et expire à la remontée. Je continue mes flexions sans prêter attention à Théo, bien que je sente son regard sur moi. Je me focalise sur mon exercice dans l'espoir de chasser la figure de Sybille de mon esprit. Elle m'obsède, et je crains le pire. Si je n'arrive pas à penser à autre chose qu'à ses iris ensorcelantes et sa bouche en cœur à damner tous les saints, je risque de commettre l'irréparable. De sauter quelques étapes élémentaires pour débarquer directement chez elle. L'erreur est humaine, et mon amour pour elle est monstrueusement dévastateur. Je deviens fou.

Une chaleur agréable coule le long de mes épaules et de mes triceps tant mes muscles stabilisateurs sont sollicités. J'en oublie presque ma fièvre. Les flexions de bras en développé-couché demandent de la coordination, de la force... de l'endurance.

Des qualités que je développe dans l'attente de les mettre en pratique avec Sybille.

Dans un soupir, je repose brutalement la barre sur son support. Le bruit métallique résonne dans toute la salle.

— T'as déjà fini pour aujourd'hui ? raille Théo.

— Cesse de jacasser et augmente la charge.

— Soixante ?

— Quatre-vingts, grogné-je, la rage au ventre.

Sybille pèse à peine soixante kilos. Je la soulèverai sans problème.

— Va pour quatre-vingts. C'est parti pour un travail d'hypertrophie ? Quatre séries de dix ?

J'acquiesce et fais craquer mes cervicales avant de m'allonger sur le dos. Mes doigts se resserrent sur la barre tandis que je me vide la tête. Les paumes en pronation, je prends une bouffée d'air. Ma respiration se bloque dans ma cage thoracique. Tout mon torse se rigidifie. Je ne forme plus qu'un bloc avec le banc. En apnée, je pousse septante pourcents de ma charge maximale alors que Théo s'occupe de m'assurer et de compter. Face à mon air concentré, il essaie de me déstabiliser. Quel con.

Ma route a croisé celle de Théo, il y a presque deux ans. Jamais je n'aurais cru me lier d'amitié avec un gars comme lui. Bien qu'il soit impressionnant avec tous ses muscles, il m'arrive aux pecs. C'est un dingue de muscu, dans le genre culturiste qui engloutit plus de blancs d'œuf et de poulet qu'un grizzly ingurgite de la graisse avant l'hiver. Cependant, attention, il ne faut pas lui parler de stéroïde. C'est un adepte du bodybuilding naturel. Sa plastique, il la doit à une hygiène de vie stricte, organisée autour de ses entraînements et de son alimentation.

À côté de lui, je suis un amateur. Je ne me vante d'ailleurs pas d'être un pro. J'ai juste troqué mon footing dominical dans les bois pour un abonnement à la salle. Quand on abuse des bonnes choses comme du chocolat - mon péché mignon - ou de la bière en soirée, il faut s'attendre aux conséquences. Je ne supportais plus le reflet que me renvoyait le miroir. Avoir l'air d'un jeune père de famille au bedon naissant, non merci. J'ai pris goût à l'exercice physique en même temps que j'ai réalisé mon premier tatouage. L'encre noir couvre près de cinquante pourcents de mon épiderme, camouflant les quelques vergetures que j'ai chopées durant mes études et certaines cicatrices.

Le Diable au cœur (DARK ROMANCE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant