Tout le temps du monde

8

─ Je dois passer voir une copine à son boulot, m'informa Mouse alors que je terminais de remplir le coffre de nos sacs de courses. Elle travaille dans un bar. Tu veux m'accompagner ? J'en ai pas pour longtemps.

─ OK.

─ Tu pourras prendre un verre en attendant.

Pourquoi pas.

On roula à peine cinq minutes. Au bruit et à l'agitation ambiants, je compris qu'on était dans un quartier populaire de la ville.

En sortant de la voiture, je décidai de laisser ma canne à l'intérieur.

─ Mouse, tu veux bien me guider ? demandai-je.

Je n'aimais toujours pas demander ça, mais j'aimais encore moins me balader avec la canne.

─ Ca se passe comment ? s'enquit Mouse.

─ Tu te places devant moi... viens là. Je mets la main sur toi... et je te suis.

C'était la première fois que je la touchais et j'en fus pour mes frais.

Son épaule disparaissait sous ma paume.

Mouse était minuscule !

Pas du tout le Sumo que je m'étais figuré.

Je la suivis en silence, stupéfait de m'être trompé dans les grandes largeurs quant à sa silhouette. D'habitude, j'étais plutot bon à ce jeu du " Devine de quoi j'ai l'air ", mais cette fille semblait échapper à mon insctinct.

Je l'entendis pousser une porte. De la musique se fit aussitot entendre, un air de rock enlevé. L'air sentait la bière et j'entendais le son d'un téléviseur, branché sur un match de foot quelconque. Les effluves de malt et de houblon titillaient mes narines, me rappelant avec une nostalgie violente les soirées animées passées en compagnie d'amis.

─ Mouse, enfin, tu passes ! râla une voix de fille un peu rauque.

Je me la figurai grande, carrée, masculine.

Le ton était courroucé, mais j'y décelai de la tendresse. Mouse s'avança dans la salle.

─ Oh, ça va, tu me connais...

Elle s'arrêta devant ce que je devinai être le comptoir du bar.

─ J'ai fait ce que j'ai pu. (Puis, à moi) Assieds-toi, si tu veux, Lou.

Je tâtonnai, me perchai sur un tabouret et tâchai d'affecter un air décontracté. Ca faisait si longtemps que je n'étais pas allé dans un bar. A peu près aussi longtemps d'ailleurs que je n'avais pas rencontré de nouvelle personne. J'étais mal à l'aise, ce qui me mettait en rogne. Avant, je n'aurais pas bronché. C'était moi qui intimidais les autres. DJ Aria ! OmonDieu ! J'en reviens pas, tu me files un autographe ?

Et maintenant, ma seule pensée, c'était que cette amie de Mouse allait remarquer mon handicap et me mettre dans une boîte dont je n'étais pas près de sortir. La boîte " mec aveugle ".

─ Sabine, je te présente Louka, dit Mouse, et elle me tapota familièrement l'épaule alors que je lui avais dit quelques jours à peine auparavant de ne jamais me toucher sans mon autorisation.

Elle avait oublié, j'imagine. Ou pas, allez savoir avec elle. Mais ça ne me dérangea pas.

Pas trop.

─ Mon coloc, précisa Mouse, et elle glissa carrément le bras sur mes épaules.

─ N'en fais pas trop, grommelai-je, délogeant son bras de mes épaules.

Mouse pouffa et le remit en place. Elle n'avait pas du tout peur de moi.

─ Salut ! me lança la fille, amicale.