APRES

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Louka

(Treize mois plus tard)



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- Hey, Lou.

- J'arrive.

C'est drôle comme le temps passe.

Que vous soyez heureux ou non, inexorablement, il passe.

Sortant du bar, je tirai mon iPhone de ma poche pour envoyer un message à Benjamin. Au même moment, une fille arriva en sens inverse, blonde, mince, rouge à lèvres fuchsia. Elle me fit un sourire mystérieux en arrivant à ma hauteur. Je lui tins la porte. Son parfum me chatouilla les narines lorsqu'elle entra dans le bar.

- Merci, mon beau !

Un parfum très différent de celui de Gretel. Plus épicé, moins sucré.

Je voyais et j'étais vu de nouveau.

C'était comme si je n'étais jamais mort.

Identique à autrefois et pourtant légèrement différent. J'appréciais la lumière, les couleurs, tous mes sens ravivés. Mais Mouse n'était plus là.

Lou

Je serai chez toi dans 30mn

Benji me répondit " OK ".

Je rejoignis Kamal qui m'attendait un peu plus bas dans la rue.

- Tu fais quoi, maintenant ? s'enquit-il.

- Je vais chez un pote. Tu veux venir ?

- Je peux pas, ma copine m'attend.

- OK, à demain.

- A demain !

On avait pris des bières après la formation de jardinage. Il ne restait qu'un mois avant la certification officielle. Après ça, je pourrais enfin exercer le métier de paysagiste. J'aimais bien Kamal. C'était un autodidacte, lui aussi.

Je me glissai derrière le volant, les souvenirs de l'opération affleurant à mon esprit, comme souvent.

Mon stress extrême, les mots rassurants du docteur. La douleur, après. Et le jour où on m'avait retiré mes bandages. Le jour où la lumière du soleil avait atteint ma cornée, me permettant de voir les contours flous de ma chambre d'hôpital.

- C'est flou, avais-je bafouillé, le cœur sur le point d'exploser.

- Pas pour longtemps, Louka. Dès demain, tu y verras plus net.

Je me souvenais du goût fade de la gelée au café de l'hôpital. Je me souvenais que je n'arrêtais pas de penser à Gretel. Que ça me faisait incroyablement mal.

" Ca passera " avais-je pensé, touchant mes yeux tout neufs.

Je pensais que le bonheur de revoir suffirait à occulter mes pensées d'elle. En fait, non.

Je voyais.

Mais je n'avais plus Gretel.

J'avais le ciel et les étoiles, j'avais retrouvé une vie sociale, j'étais bien en amour mais je me sentais démuni.

A peu près comme avant, comme lorsque je ne voyais pas.

Le cauchemar.

Gretel avait quitté l'appartement le soir où j'avais mis fin à notre relation, quelle qu'elle fut. Je ne savais pas où elle était ni ce qu'elle faisait. J'avais encore son numéro, mais je n'avais pas cherché à la joindre. Pour quoi faire ? Pour dire quoi ? Allo, Gret, tu me manques ? Reviens ? Reviens faire quoi ? Je ne me sentais toujours pas capable de voir son visage, même après tous ces mois.

Je n'avais pas besoin de le voir, d'ailleurs. Tout allait beaucoup mieux pour moi. J'étais heureux à ma formation, entouré des plantes. Je revoyais mes amis, qui s'étaient pour la plupart montrés ravis de me revoir. Ma mère resplendissait de me voir croquer la vie à pleines dents. Je passais même du temps avec Costa, quand il était en ville, et ce n'était pas trop mal.

J'achetai des burgers et des sodas au restaurant en bas de chez Ben, avant d'aller frapper à sa porte. Il m'ouvrit en t-shirt et vieux pantalon de pyjama, pas rasé, les cheveux gras.

- Hé, fit-il, s'éloignant de la porte.

- Hé. T'es en dépression, ou quoi ?

- Flemme.

La télé était allumée sur le match.

- La première mi temps est presque terminée, râla Ben. T'es en retard.

- J'ai manqué quoi ?

- Pas grand chose. On est à 0-0. Tu veux une bière ?

Les spots publicitaires commençaient.

- Ouais, dis-je, sortant mon étui à lunettes de ma veste.

Je chaussai mes lunettes, avant de passer une main dans mes cheveux pour dégager ma frange. Les carreaux, un héritage de ma malvoyance. Je voyais très bien un an après l'opération, mais elles m'aidaient à reposer mes yeux pour la télé ou pour lire.

Je me jetai dans le canapé de Benji. Benji arriva sur ces entrefaites et me tendit ma bière. J'en pris une gorgée tout en jetant un œil à l'écran. Une fille tournait au bras d'un type. J'avais déjà vu cette pub sans intérêt et ne lui prêtait guère plus d'attention que les trois fois précédentes.

Benji fit un drôle de bruit étouffé, quelque chose entre le hoquet et le raclement de gorge.

- Comment tu la trouves ? s'enquit-il, désignant l'écran avec son saladier de popcorn.

- Elle ? J'en sais rien.

- Elle est mignonne, non ?

- On la voit à peine.

- C'est Mouse, lâcha Benji, matant ma réaction du coin de l'œil.


Tout le temps du mondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant