2, Dans la peau de l'agneau

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Dans la peau de l'agneau

Madame Maëlys  TAYLOR

La porte claque à leur départ. Le regard grave de Marwan me darde. Assis face à face,  d'un bout à l'autre, de la table à manger, il s'efforce de rester calme.

— Que leur reproches-tu encore cette fois ?
— Marwan ton voyage s'est bien passé ? Je tente de changer de sujet.
— Mitigé ! J'avais mon corps là-bas mais mon cœur ici. Pourquoi je ne t'ai pas vu dans les images de la soirée Kenji ?
— J'avais mieux à faire dans l'orphelinat. Nous étions en pénurie de berceau pour les nouveaux nés. Il me fallait rester pour superviser les travaux. Tu sais à quel point j'aime que tout soit parfait.
— Tu n'as pas eu une seule minute à accorder à Kenji ? Je veux dire. T'es rentrée à 20 heures. La soirée Kenji-Akane s'est déroulée entre  22 heures et minuit.
— J'étais fatiguée ! Je me suis endormie aussitôt que j'ai posé la tête sur le lit.
— Maëlys que leur reproches-tu ?
— Marwan, tu voulais des enfants tu les as eu. J'ai du boulot, je dois y aller.

Je me lève devant son regard neutre et vais prendre mon sac. En revenant sur mon chemin, je me baisse à son niveau pour l'embrasser. Le faisant, son regard s'accroche dans le mien.

— La naissance de Duc Chayton avait pour but de consolider notre remariage.  Lors de la conception de Déesse Altaya, tu m'as juré que tu changerais ton attitude et que nous deviendrions plus unie. Tu m'as suppliée pour la concevoir. Prince Keo, tu me l'as fais dans le dos alors que nous étions à un doigt de divorcer à l'amiable. Mais les jumeaux, tu les as désirés n'est-ce pas ? Lorsque tu as décidé de les porter en ton sein, sans mon consentement, au début de notre mariage, tu savais ce que tu voulais.

— Clairement ! Mais je ne suis pas arrivé à être une mère pour eux. Pour aucun d'eux d'ailleurs.
— Est-ce parce que tu m'en veux encore ?  Ça fait vingt ans maintenant Maëlys.
— Non Marwan. Je t'ai pardonné autant que tu m'as pardonné, je lui réponds d'une voix  sûre quoique je ne pense rien de mes mots.
— Alors qu'est-ce qui justifie ton acte envers eux ? Donne-moi une raison, n'importe quoi mais donne-moi une seule raison. Je ne trouve rien à lui répondre. Si moi-même je le savais, je lui aurais dit.
— Je pense que tu devrais suivre une thérapie. Tu souffres d'un syndrome, sinon je ne comprends pas comment tu as pu les porter et ne pas ressentir d'affection pour eux. Pourquoi tu n'arrives pas à leur témoigner tout l'amour que tu donnes aux nécessiteux ?
—Écoute Marwan, j'avais une carrière. Je l'ai arrêté à cause de ses grossesses. J'ai dû me réinventer encore et encore pour ne pas disparaître du milieu qui me passionne. Alors je te conjure d'arrêter de faire l'amalgame entre la seule chose qui me rend heureuse et ces gosses que tu pourris avec ton amour.
— Tu parles comme si à chaque naissance je t'avais forcé à les concevoir. On avait convenu de s'arrêter à Duc-Chayton. Déesse-Altaya  et Prince-Keo sont nés de ta propre volonté Maëlys. De quoi m'accuses-tu cette fois? De les aimer un peu trop ? Mais si je ne les aime pas, qui le fera. Qui  leur en donnera quand leur mère est totalement indifférente vis-à-vis d'eux ? Qui comblera leur attente en dehors de moi ? Je suis tenu de les aimer doublement parce que tu ne joues pas ton rôle, tu ne remplis pas tes obligations envers eux. Tu es quasiment absente pour eux.
— Alors n'attend rien de ma part ! Ton amour devrait suffir. Moi je n'y arrive pas. Ils sont nés avec une cuillère en or dans la bouche, ils vivent dans un palace et dans l'opulence, fréquentent les meilleures écoles, mangent à leur faim. Je les ai mis au monde, ne m'en demande pas plus, je lui réponds sèchement.
— Tout porte à croire que tu as transféré toute la haine que tu me porte sur eux.
— Quoi de plus normal, ils ont tous ta tête, je hurle sans retenue avant de mordre ma langue, choqué d'avoir proféré ses mots.  Marwan ce n'est pas ce que j'ai voulu dire.
— Tout s'éclaire… Après vingt ans tu me détestes toujours aussi fort. Son visage se comprime, il inspire, souffle puis secoue la tête dans un sens.
— Tu les déteste parce qu'ils sont de moi et que tu n'es pas arrivée à me pardonner. Et aussi parce qu'ils te rappellent cet esprit de supériorité qui se dégage de moi sans que je ne fasse exprès. Tu n'arrives pas à t'identifier en eux.
— Je ne les aime tout simplement pas. Ce n'est pas si difficile à comprendre. Peut-être parce qu'ils viennent de toi ou peut-être parce que leur existence ne me dit rien. Marwan on en reparle ce soir. Je suis pressée.

Dans l'ombre d'une autre vol 3Où les histoires vivent. Découvrez maintenant