- Mademoiselle d'Alès.
Une fois.
- Mademoiselle d'Alès !
Deux fois.
- Mademoiselle d'Alès !
Trois fois.
Si elle ne sortait pas maintenant elle ne sortirait plus jamais. Réajustant son bonnet blanc, Aliénor d'Alès, fille du Chevalier d'Alès et de la baronne du Breuil et promise à Thibault de Blois depuis ses 3 ans, poussa la porte du placard dans lequel elle s'était dissimulée et baissa la tête face à soeur Dominique dont les rides sur le visage trahissaient un profond agacement.
- Vous ne cesserez donc jamais de vous cacher dans les armoires ? soupira soeur Dominique en lui attrapant le bras d'une poigne de fer. Habituée depuis ses 9 ans aux manques de délicatesses des soeurs de l'établissement pour jeunes filles qui s'occupaient de son éducation en tant que future femme de hauts placés - diplomates, ministres, lieutenants généraux... - la jeune fille ne broncha pas.
- Veuillez m'excuser ma soeur, je ne sais pas d'où je tiens cette mauvaise habitude. Je ne cherche jamais à faire du tord.
La prise sur son bras de détendit, de même que le ton de soeur Dominique.
- Je le sais bien, mon enfant, mais vous commencez à avoir l'âge où continuer à se cacher dans un placard devient inquiétant. En tant que future femme de ministre du roi vous devez perdre vos habitudes enfantines, vous comprenez ?
Aliénor hocha la tête, sentant quelques mèches s'échappaient de son bonnet blanc. Soeur Dominique marqua une pause pour les lui remettre en place comme il faut. Levant la tête vers cette dernière, elle vu non plus une ride d'agacement mais celle de l'inquiétude barrer son front. Aliénor avait toujours connu soeur Dominique, elle connaissait chacune de ses rides. Cette dame qui devait maintenant avoir la soixantaine ne savait pas conserver un visage totalement impassible. On y lisait comme dans un livre ouvert, malgré ses nombreux efforts pour rester de marbre. Et celui qu'elle lui présentait à l'instant ne lui plaisait pas. Comme un mauvais pressentiment.
- Ou va-t-on ? osa demander Aliénor après que soeur Dominique ait repris sa course.
- Dans le bureau de la Maitresse générale.
Aliénor frissonna. On allait rarement dans le bureau de la maitresse générale sauf si on risquait le renvoi ou si quelque chose de grave était arrivé à sa famille. Sachant qu'elle n'avait rien fait de mal, si ce n'est de continuer à se cacher dans les placards à 16 ans, l'idée d'être convoquée dans le bureau de la Maitresse générale ne lui disait rien qui vaille.
- Père s'est blessé au combat ? Est-il... mort ? ne put elle s'empêcher de demander, entre interrogation et cri d'effroi.
Le Chevalier d'Alès était connu pour son intrépidité au combat, son courage et son ingéniosité. Aliénor savait qu'il attisait la crainte et le respect, elle avait vu les yeux des jeunes filles de la maison qu'elle côtoyait s'ouvrir comme deux soucoupes quand elles réalisaient de quelle lignée elle tenait son patronyme. Cependant, ce goût du risque qu'avait son père l'avait toujours effrayé et elle craignait depuis qu'elle était entrée dans l'établissement qu'on lui annonce son décès.
Soeur Dominique lui posa une main sur l'épaule. Ce qui n'avait rien de rassurant. La poitrine d'Aliénor se gonfla et elle se mordit la langue pour ne pas pleurer.
- J'aimerais pouvoir vous rassurer mais Madame de Lieutenon n'a pas souhaité m'informer de l'objet de votre convocation.
Prenant sur elle, Aliénor continua de suivre soeur Dominique dans le dédale de couloirs de l'établissement en se mordant la langue, les joues, les lèvres pour empêcher ses larmes de couler. Elle ne savait pas sur quoi reposait la convocation, cela ne servait à rien d'en faire état maintenant. Mais alors pourquoi la convoquer s'il ne s'agissait pas de cela ? ne pouvait elle s'empêcher de se demander.
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La rose et le glaive
Historical FictionFiancée depuis ses 3 ans, Aliénor est aux portes de son destin. Elevée dans cet unique dessein, elle a été placée dans une établissement pour jeunes filles promises à de grands partis dès ses 9 ans afin d'y être préparée. Agée maintenant de 16 ans...