Le salon, qui devait faire environ la taille du "petit salon" de sa tante n'avait pas beaucoup changé depuis son départ. Toujours décoré de teinte bleue et blanche, le mobilier était resté intacte. Seuls les lourds rideaux en velours bleu nuit avaient été remplacés par des rideaux en lin blanc qui devaient mieux laisser passer la lumière.
Hortense prit place sur le fauteuil en imprimé à rayures situé à l'extrémité du grand canapé Louis XV qui faisait face à une cheminée allumée diffusant un doux parfum de bois dans la pièce. Madame de Saint-Clair, dès que la maitresse de maison eu pris place, s'installa sur le fauteuil attenant à celui d'Hortense, laissant le canapé aux enfants. Naturellement, comme s'ils avaient toujours été installés de la sorte, Aliénor pris place à côté des dames et, par ordre de naissance, Charles et Alexandre s'assirent à sa suite, les petites jambes d'Alexandre se balançant dans le vide. A la vue de ses trois enfants ainsi installés, Hortense en eu un pincement au coeur, d'autant qu'elle savait qu'il y aurait du s'en trouver un quatrième décalant les trois enfants à l'opposé pour récupérer sa place d'aîné. Et probablement un cinquième...
Sur la table basse en chêne, les valets étaient en train de disposer de quoi grignoter. Bien sûr, éternelle insatisfaite, Madame de Saint-Clair fit connaître sa déception de ne point avoir quelque chose de chaud à se mettre sous la langue, le repas du midi ayant été servi froid (Aliénor se retint de corriger l'appellation "repas du midi" comme son éducation le lui avait apprise). Comprenant l'allusion, Hortense, sans se laisser atteindre par l'impolitesse de sa chère demi-soeur, fit préparer une soupe à son intention.
- Vous êtes toujours aussi bien aimable et attentionnée, ma soeur, sourit Madame de Saint-Clair en caressant le pommeau de sa canne comme s'il s'était s'agit d'un chat.
Hortense inclina la tête pour prendre le compliment, sans tenir compte de cynisme employé.
Le majordome annonça au même moment l'arrivée du chevalier d'Alès. Aliénor sentit de nouveau son coeur faire des bonds dans sa poitrine. On parle souvent des relations père-fille et mère-fils. Concernant Aliénor, elle avait toujours voué un culte à son père, d'autant qu'il remplissait quasi toutes les cases du chevalier des romans romanesques, courageux, serviable et fidèle. De plus, l'étourdissement qu'il donnait aux jeunes filles du pensionnat rien que par l'évocation de son nom exaltait Aliénor et la rendait plus fière encore de son lignage paternel. Qu'elle avait hâte de le revoir, de le serrer dans ses bras comme elle le faisait enfant !
Il avait vieilli. Se fut sa première pensée. Des rides avait creusées son visage qui paraissait fermé et soucieux. Toutefois, malgré ses quarante ans passés, il se tenait toujours aussi droit et sa musculature, sans aucun embonpoint, trahissait une activité physique régulière. Ses cheveux poivre et sel étaient emmêlés mais ses yeux bleu acier aussi intenses que dans ses souvenirs. Son regard, si expressif, suffisait à donner le ton. Et Aliénor fut surprise d'y lire ni joie, ni émotion, ni ravissement, ni rien qu'un père retrouvant sa fille après de longues années d'absence se devait de ressentir à son retour. Au lieu de ça, il jeta un regard sombre en direction de Madame de Saint-Clair qui, habituée aux humeurs de son jeune frère depuis sa tendre enfance, s'était déjà redressée comme prête à en découvre :
- Vous ! Avec vos idées saugrenues ! C'est uniquement par manque de temps que je n'ai pas envoyé une cavalerie vous détourner jusqu'à Rouen ! tonna-t-il en pointant un doigt accusateur sur sa soeur.
Cette dernière releva le menton dans un air de défis. Le coeur d'Aliénor continuait de faire des bons mais plus pour les mêmes raisons. C'était son idée de ne pas faire halte à Rouen... Les retrouvailles allaient virer au cauchemar. Cependant, alors qu'elle aurait dû intervenir pour défendre sa tante et rediriger le courroux de son père contre elle, la peur la paralysait. Elle vouait un tel culte à son père qu'elle ne voulait pas le décevoir. Pas après autant de temps loin de lui. Pas une dispute en guise de retrouvaille. Pas de haine, de reproche, de cris, de remise en question. Et pourtant, elle ne pouvait sciemment pas laisser sa tante se faire humilier de la sorte devant tout le reste de la famille alors que c'était sa décision à elle.
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La rose et le glaive
Historical FictionFiancée depuis ses 3 ans, Aliénor est aux portes de son destin. Elevée dans cet unique dessein, elle a été placée dans une établissement pour jeunes filles promises à de grands partis dès ses 9 ans afin d'y être préparée. Agée maintenant de 16 ans...