Chapitre 3

5 0 0
                                    


Aliénor n'avait pas revu sa tante depuis l'âge de 9 ans. Voire peut être moins. Quoiqu'il en soit, pas depuis son entrée au pensionnat. Il s'agissait de la soeur de son père, Céline de Saint-Clair. Une excentrique qui avait refusé de refaire sa vie après la mort de son époux, survenu peu de temps après son mariage - ce qui avait alimenté les ragots. Surtout lorsqu'elle avait refusé tous les prétendants dont la nouvelle fortune acquise ne cessait d'attirer les plus envieux. Le chevalier d'Alès avait dû intervenir pour tenir éloigner ces charognards et avait alors présenté de "bons partis" à sa soeur. Des hommes qui avaient rang et pouvoir à lui offrir et non pas de simples intéressés à la recherche du gain. Mais celle-ci les avait toutes déclinés, encore et encore. Puis elle avait fini par affirmer qu'elle vivait mieux seule. Le chevalier avait souhaité la faire entrer au couvent ce qui avait fait éclater de rire Madame de Saint-Clair. Elle lui avait rétorqué que Dieu n'accepterait jamais son âme et qu'il lui faudrait Le servir pendant des siècles avant qu'elle ne mérite sa place au paradis. Le chevalier n'avait fait aucun commentaire mais l'idée que sa soeur ait pu attenté à la vie de son défunt époux lui effleura l'esprit. Toutefois, il décida de ne plus se mêler de sa vie et laissa Madame de Saint-Clair mener la vie qu'elle souhaitait. Par son biais, cette dernière avait réussi à se faire une place à la cour du roi, à force d'être présentée à tous les meilleurs partis du royaume elle était parvenue petit à petit à se faire un nom. Etait-ce au fond son but ultime ? Quoiqu'il en soit, Madame de Saint-Clair adorait sa condition de femme célibataire profitant des mœurs légères de la cour sans avoir de compte à rendre à personne. 

Pour Aliénor, qui avait entendu toutes ces histoires sur sa tante à travers les portes ou lorsque les adultes pensent que les enfants n'écoutent ou ne comprennent pas, sa tante était fascinante. Mais, n'ayant jamais été seule de sa vie si ce n'est quelques instants dans une armoire, Aliénor ne comprenait pas comment elle pouvait supporter d'être célibataire, de vivre dans des appartements silencieux, de ne jamais avoir quelqu'un sur qui se reposer. Bien qu'à la cour, elle s'en rendait compte avec l'âge et les rumeurs qui lui parvenaient à travers les lettres de ses amies mariées, sa tante ne devait pas être souvent seule. Son père avait-il forcé sa soeur à quitter Paris pour accueillir sa fille ? N'était-ce pas étrange, finalement, qu'il confie une future mariée à sa soeur célibataire qui vante, justement, les bienfaits du célibat ? 

Enfin, ce ne sont pas les avis tranchés de sa tante qui allait la faire dévier de son destin. Aliénor craignait rien d'autre plus que de décevoir ses parents. D'autant que son père avait une telle réputation qu'elle préférerait mourir que d'être la cause de son déclin, de son humiliation. Son père devait en avoir conscience, sinon il ne l'aurait pas confié à sa tante. 

La carrosse quitta la route alors que le soleil déclinait de plus en plus à l'horizon et qu'il n'était plus qu'une question de minutes avant qu'il fasse nuit pour s'engager dans une allée boisée. Aliénor se pencha à la fenêtre pour en humer l'air. Ravie de se dire qu'elle dormirait dans un lit confortable après tant d'heures passées dans ce carrosse. 

Quelques instants plus tard, ils étaient arrivés. Le majordome de sa tante l'attendait déjà devant la maison et vint baisser les marches et lui tendre la main pour l'aider à descendre. Ankylosée, il fallu un petit instant avant qu'Aliénor soit certaine de tenir sur ses jambes. Pendant ce laps de temps, une rangée de valets s'étaient formés et au bout, devant la porte, se tenant à l'aide d'une canne, une dame d'une cinquantaine d'année, chignon relevée, l'attendait. 

Faisant une révérence tandis que les bonnes la débarrassaient de sa cape et de ses gants et que les valets de chambre récupéraient ses bagages qu'ils montèrent à l'étage de sa chambre, Aliénor fit une gracieuse révérence à Madame de Saint-Clair qui lui saisit le menton pour la relever.

La rose et le glaiveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant