Chapitre 2

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Aliénor déplia sa lettre dès que le carrosse s'ébranla. Cela lui permit de concentrer son attention sur autre chose que l'établissement qui disparaissait à vue d'oeil dans son dos, pour ne plus rester qu'un souvenir. Ses camarades étant en classe, elle n'avait pas pu leur dire au revoir comme il se devait et soeur Dominique, informée de son départ à sa sortie du bureau de Madame de Lieutenon, avait reçu l'ordre d'accompagner Aliénor au carrosse sans attendre. Il ne lui avait donc pas été permis de patienter jusqu'à la pause de midi pour serrer ses amies une dernière fois dans ses bras.

- Vous leur écrirez, avait tenté de la réconforter soeur Dominique.

- Si on m'en laisse le temps, répondit Aliénor avec amertume. Ne pas pouvoir quitter dignement l'établissement qui l'avait accueillit durant 7 ans, soit une grande partie de sa vie notamment de jeune fille, la rendait profondément irritable et triste.

Percevant l'agitation de sa pensionnaire, soeur Dominique se retint de tout commentaire. Elle se contenta de la serrer dans ses bras une dernière fois avant qu'elle ne soit emportée dans sa nouvelle vie.

- Que Dieu vous bénisse, ajouta-t-elle quand elle referma la porte du carrosse.

- Qu'il en soit de même pour vous et l'établissement dans son ensemble, répondit Aliénor en retenant sa voix de partir dans les aigus. Rester digne en toute circonstance. Il était temps d'appliquer à la lettre les enseignements et recommandations reçus pendant son séjour dans le pensionnat, seul socle sur lequel elle pouvait fonder sa nouvelle vie qui lui fonçait dessus à la vitesse d'un cheval au galop.

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La lettre informait l'établissement de la volonté de Thibault de Blois d'épouser sa fiancée au plus vite en raison d'une campagne courant juin. Jusque-là, rien qu'Aliénor ignorait. Son père demandait à ce qu'Alienor soit conduite chez eux afin qu'ils puissent préparer le mariage qui aura lieu... dans trois jours ? Soit le lendemain de son arrivée ? L'affolement tendait à gagner du terrain mais Aliénor la tint à distance. Cela ne servait à rien. Qu'elle l'épousa la lendemain de son arrivée ou un mois après, cela ne changeait absolument rien. Elle était préparée, elle le savait, elle n'ignorait rien de son destin. Pour autant, elle ne savait pas si elle était prête.

Somnolant à moitié, bercée par les soubresauts du carrosse, le bruit régulier des sabots des chevaux et le paysage défilant, elle se mit à se souvenir du jour de la mort de son frère. Le jour où elle s'enferma pour la première fois dans un placard.

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Le souvenir était flou, elle n'avait que 3 ans, mais les bruits, l'atmosphère, certaines phrases et lieux étaient gravés dans sa mémoire. Portée par le sommeil, son esprit combla les points obscurs du souvenir.

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C'était un été. Dans le jardin du grand manoir que possédait ses parents. Esther, sa nourrice, la poursuivait avec une ombrelle mais Aliénor ne pensait qu'au papillon orange et rouge qui lui tournait autour et qu'elle s'était mise en tête de poursuivre dès lors que ce dernier s'était désintéressait de la petite fille.

"Couvrez-vous du soleil, bon sang ! s'agaçait Esther en la ramenant sans cesse dans ses jupons pour la mettre à l'ombre formée par l'ombrelle. Mais la petite fille n'en avait que faire et aussitôt lâchée elle fonçait rejoindre le papillon.

Quelle occasion fêtait-on ? Aliénor l'ignorait. Mais les tentes blanches étaient dressées dans le jardin, des serviteurs courraient entre la maison et le jardin avec des plateaux débordants de mets dans les mains, des invités en tenues pastel et blanc étaient rassemblaient devant ou dans les tentes et un orchestre jouait de la musique.

- Faites la jouer dans la tente si elle se refuse tant à obéir, conseilla sa mère, Hortense d'Alès, à une Esther épuisée et à bout de nerfs. Elle avait un énorme ventre rond qui pointait sous sa robe en dentelle rose et blanche et se tenait le dos. Aliénor se souvint de sa démarche chaloupée mais surement parce qu'elle a eu deux frères après ce jour et qu'elle était plus âgée, donc plus amène de se souvenir de la démarche de femme enceinte de sa mère.

La rose et le glaiveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant