I S A B E L L I N E A T K I N S # 4

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Il m'a dit qu'il m'aiderait avec cette maladie. Que nous travaillerons une fois par semaine pour découvrir ce qu'il m'arrive et que, avec un peu de chance - voire même beaucoup de chance -, je pourrais quitter cet endroit pourri et vivre une vie tout à fait normale et banale. Mais je ne sais même plus ce qu'est une vie normale, ni même si c'est ce que j'avais pu avoir avant.

Une vie normale, voilà bien longtemps que je n'y avais plus pensé. Avoir un mari ? Des enfants ? Beurk. Rien que d'y penser, j'arrive à en être malade.

J'ai passé tellement de temps enfermée ici que l'extérieur est ce qui

m'effraie le plus. Et je pense préférer continuer à me faire battre par Daryl que d'imaginer ma vie en dehors de ces murs dégueulasse de crasse.

Non, je ne veux plus de tout ça ; à supposer que j'en ai un jour voulu, ou tout du moins espéré. Mais cette idée ne m'a jamais effleuré l'esprit, même pas lorsque je suis arrivée ici, au tout début. Je préfère rester ici, quitte à y pourrir jusqu'à la fin. Oui, c'est ce que je veux. Le monde extérieur est bien trop horrible pour que je pense à y retourner un jour. Je n'ai passé que seize ans de ma vie hors de ces murs et en comparaison, ce lieu est un semblant de paradis. Rien n'est parfait, loin de là, mais je ne peux espérer trouver mieux. Ma vie à l'extérieur a été un véritable enfer. Et au moins ici, je sais que tout le monde est comme moi. Que je ne suis pas la seule à être à moitié - ou complètement - folle.

Assise face à Becky, une internée tout comme moi, je cherche le meilleur moyen de faire tomber sa reine afin de toucher le roi. Avec ou sans triche, elle sera d'une telle fureur que parier sur le fait qu'elle va tout foutre par terre est inutile. Elle le fera. Je ne sais pas vraiment quel est son problème, ni même pourquoi elle est là. La règle numéro un du règlement est clair sur le fait qu'aucun interne ne doit parler du pourquoi du comment, de leur présence. Mais malgré ça, malgré le fait que je ne sais rien d'elle, je suis sûre d'une chose. Elle est barge. Avec elle, tout est dans l'extrême, même ses tics ou la joie - chose que je n'ai jamais vraiment compris d'ailleurs. Je crois qu'elle est la seule personne pouvoir être réellement heureuse ici. Mais bon, si elle est ici, face à moi, ce n'est certainement pas parce qu'elle a mangé trop de bonbons roses et dégueulasses sortis du cul d'une licorne du monde des Bisounours. Rien que de voir sa tête - en dépit de tout le reste - on voit qu'elle n'est pas très nette. Ses cheveux blonds sales sont ébouriffés - crêpés plutôt - sur le haut de son crâne presque dégarnis et blanc. Un de ses yeux dit merde à l'autre alors que celui-ci fait je ne sais quoi d'autre de plus intéressé. Sa bouche est remplie de trous, ou vide plutôt, à l'exception de cinq dents rescapées. Son nez est énorme et ...

« Tu vas encore nous les briser longtemps ? » Je soupire lorsque j'entends sa voix de crécelle résonner dans ma tête. C'est impossible de rester tranquille moins de dix minutes et avoir des pensées quelques peu normales. Elle est toujours là, quelque part, à traîner dans le coin et à surgir quand elle s'ennuie, pour me faire chier à mon tour. « Et je ne suis pas prête de te lâcher de si tôt. » Ça je le sais, à mon plus grand déplaisir.

Est-ce que les gens normaux sont comme ça eux aussi ? Ont-ils cette petite voix dans leur tête qui les conseille ou leur murmure des choses ? Ont-ils cette voix qui semble avoir son propre corps, ou tout du moins sa propre volonté ? Parce que c'est ce que j'ai dans la tête. Toujours cette même voix, ces mêmes conseils et pensés qui viennent et s'en vont. Je pensais m'y être faite avec le temps. Mais plus le temps passe, plus j'ai envie de me couper moi-même la tête pour ne plus jamais avoir à l'entendre. « Que de pensées sombres aujourd'hui. » Si seulement il n'y avait qu'aujourd'hui. Enfin ... je crois. Ce sont mes pensées habituelles. Et puis, bien sûr que je m'y suis faites à tout ça, à cette folie !

SchizophreniaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant