Il est là, avec moi dans cette pièce. Il dort à point fermé et je me retrouve enfermée dans cette cave, les ténèbres se refermant sur moi. Je ne vois plus le Docteur Saunders, seulement le démon de mes souvenirs. Lui aussi, dormait dans le fauteuil. Lui aussi, il me regardait dormir, me regardait me débattre dans mes cauchemars. Je n'avais jamais pu le regarder dans les yeux, avec son sourire suffisant ; celui qu'il m'a transmis. Je lui ressemble tellement. J'ai envie de vomir. Je reste là, tétanisée, tournant le dos à l'ennemi en attendant qu'il se lasse et finisse par remonter, éteignant la lumière derrière lui, me laissant dans les ténèbres. Mais il ne part pas, il est là, dormant à point fermé, illuminé par les faible rayons du soleil traversant les vitraux couleur jaune pisse et les stores en ferrailles recouvert d'une épaisse couche de rouille. Mon père aussi était éclairé de cette façon, par le peu de soleil pouvant passer à travers la seule et unique petite fenêtre existant dans ce sous sol puant et humide de moisissure, cette petite fenêtre condamnée par une large planche en bois, pourrie avec le temps, la lumière, la poussière et l'humidité de la cave qui empoisonnait mes poumons, qui polluait le seul air que je pouvais encore respirer.
De nouveau, cet air nauséabond refait surface, vient se coincer dans ma gorge, me faisant tousser. J'ai mal, juste là, au niveau de mes côtes. Je grimace. J'ai aussi mal au visage, ma lèvre est enflée, je la sens, à moins que ce ne soit tout le contraire. Je plisse les yeux, tentant de me souvenir de quelque chose. Mais je suis encore bien trop endormi par ... le sérum ? C'est bien possible. Je tousse de nouveau. Mes côtes. Je soulève la couverture qui me recouvre. Une longue bande de sparadrap entoure mon corps, ma poitrine.
– Maman ?
Je les revois, ces poings s'abattant contre mon corps faible. Ce devait être la première fois que j'avais tenté de lui échapper. La première fois que, moi aussi, j'avais levé la main sur lui. Il me l'avait donné ce jour précis, la rouste de ma vie. Depuis le temps qu'il avait attendu ça. J'avais dit non, j'en ai payé les conséquences. Nue, au beau milieu de cette pièce froide, recroquevillée sur moi-même alors que sa ceinture me cinglait de par et d'autre. Un coup au visage, tantôt les fesses, tantôt le dos. Je peux encore sentir le cuir venant chauffer ma peau. J'en garde encore de cuisantes cicatrices. Mes toutes premières. Pas celles dont on aime se souvenir comme étant celles de notre première chute à vélo ou de notre éternelle maladresse. Non, plutôt du genre de celle qui te rappelle à quel point la vie ne tient qu'à un fil. À quel point, parfois, tu préférerais ne pas être ce putain de spermatozoïde chanceux qui a franchi le premier la ligne d'arriver, d'avoir été apporté à une salope de cigogne ou d'être né dans une putain de rose dont les épines te rappellent tous les jours l'état merdique de ta misérable vie. Et puis, la ceinture ne suffisait plus. Pas assez de dégât d'un seul coup. C'est vrai, pourquoi vouloir faire les choses à moitié. Quitte à faire, autant que je m'en rappelle. Et je m'en souviens toujours, ses pieds frappant mon abdomen, mes côtes, ses poings s'attaquant à mon visage, brisant mon nez encore et encore. Je suis assez fière de mes cicatrices. Au moins, elles gardent en mémoire que la vie n'a pas été facile, que je n'ai pas été gâté, et que pourtant je suis toujours là. Que je suis la gagnante. Que j'ai réussi à avoir ma revanche.
– Maman.
Je revois son visage, meurtri de chagrin lorsqu'elle a descendues à son tour les marches de la cave, lorsqu'elle m'a trouvé seule, étendue nue au pied de mon lit, les membres brisés, la tête flottant dans une mare de sang. De mon sang. Je ressens la douceur de ses gestes. Ses doigts minutieux enrobant mes côtes de ce même sparadrap, épongeant le sang coagulé sur mon visage, dégoulinant dans mes cheveux encore bruns à cette époque. Dire que je l'ai tué, elle aussi. Pourtant, je l'aimais tellement. Mais je ne voulais pas qu'elle souffre à cause de moi. Je ne voulais pas qu'elle soit seule. Je ne voulais pas la décevoir. Au moins, là où elle est, j'espère qu'elle a su trouver la paix qu'elle méritait.
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Schizophrenia
Mystère / ThrillerUne rose à besoin d'eau et de soleil pour s'épanouir. Mais aussi de beaucoup d'amour. Mais quand le soleil disparaît et que la pluie tombe, ne se noie-t-elle pas ? Ne reste-t-elle pas seule, prisonnière de cette terre, sans personne pour l'aider à m...