Chapitre 2 : Une mèche et des prémices

15 2 2
                                    

William déglutit. Par le passé, il était arrivé de nombreuses fois qu'il accuse à tord James Pendrick de vols ou de meurtres, voyant en lui un homme intelligent, suffisamment intelligent pour élaborer des crimes épineux à démêler pour la maréchaussée. Il lui fallait avouer qu'il s'était chaque fois trompé, et que l'intelligence de cet homme était proportionnelle à sa naïveté face aux femmes qui ont partagé sa vie et qui, bien souvent, l'ont roulé dans la farine. D'abord ennemis jurés, les deux hommes étaient à présent amis, l'inspecteur admirant le génie et l'imagination de cet inventeur amateur. Le destin a visiblement décidé d'opposer, de nouveaux, les deux hommes le temps d'une enquête... espérons qu'aucun indice n'accuse Pendrick, il est déjà pénible de le voir sur le banc des suspects, pensa Murdoch.

L'inspecteur vit, dans un coin de la pièce, un homme de taille moyenne, vêtu d'un costume trois pièces noir et blanc. Il semblait âgé d'une soixantaine d'années, son crâne chauve s'entourait de quelques mèches au mieux grisonnantes, au pire totalement blanches. Il arborait une fière moustache grise sous son nez aquilin, et ses yeux bruns reflétaient tout le bouleversement et l'inquiétude d'un homme qui vient de découvrir un cadavre à quelques heures d'un événement d'une importance capitale au vu de ses responsabilités.

Brackenreid lui glissa discrètement :

« C'est le doyen de l'université, le Dr Hugh Robert Dixon. Je m'en occupe. »

Murdoch acquiesça et observa l'inspecteur en chef se diriger vers le Dr Dixon, tandis que Higgins et Crabtree interrogeaient les différents suspects. Au vu du regard ennuyé et accusateur de James Pendrick, William préféra se diriger vers son épouse, la Dre Ogden, venue à son travail plus tôt que lui ce matin-là. Il dût s'avancer entre les quelques machines déjà exposées, pas totalement bien installées, dont les objectifs lui paraissaient très floues. Entre un appareil mécanique comportant un siège et des éléments contondants et un autre aux nombreux fils et tubes à vapeur, se trouvait la médecin légiste agenouillée à côté d'un homme allongé sur le dos, immobile, les yeux et la bouche grands ouverts. Un objet contondant de la machine d'en face l'avait vraisemblablement tué, se plantant profondément au milieu de son crâne.

« L'origine de la mort paraît assez évidente, tout comme l'heure approximative de celle-ci, à la demi-heure près... » soupira Julia. « Je vois mal ce que je pourrais encore tirer comme informations d'ici, le corps ne montre rien de particulier pour le moment, il est donc temps de le transporter à la morgue pour l'autopsie. Désolée de ne pas t'apporter davantage d'informations pour le moment, William...

- Ça ne fait rien, tu trouveras peut-être autre chose lors de l'autopsie... »

William adressa un sourire à son épouse, qui le lui rendit, puis il fit demi-tour et vit Crabtree terminer avec un suspect. Regardant alors la machine assassine de loin, il questionna l'agent :

« Cette machine, avant de tuer un homme, était censée servir à...?

- C'est une machine pouvant opérer quelqu'un ou disséquer un corps, selon son inventeur, monsieur Cunningham, répondit Crabtree. L'idée est, pour le médecin, de s'assoir dans le siège et de pouvoir opérer à distance via les autres machines... son inventeur recherche encore comment l'automatiser, mais à mon humble avis, rechercher comment garder en vie les patients qui le sont encore serait une plus riche idée...

- Oui merci Crabtree, éluda William, qui ne voulait pas s'attarder sur les pensées quelques peu foisonnantes de son fidèle agent. Vous avez interrogé tous les suspects ?

- Eh bien... l'inspecteur Brackenreid interroge le Dr Dixon, Higgins a interrogé les suspects Joseph Holmes Burke et Clarence Turcotte que vous voyez discuter entre eux là-bas, répondit-il en pointant un petit homme aux sourcils épais et aux airs sévères, ainsi que son comparse plus grand et au visage bouffi. Il interroge actuellement Ernest Landry, et je viens tout juste d'interroger Charles Sutherland ainsi que Nancy Anderson, une femme très intelligente par ailleurs, qui a inventé une machine passionnante qui, je suis certain, ravirait n'importe quel lecteur de science-fiction, car sa machine est capable... enfin, de ce qu'elle m'en a dit, parce que je n'ai pas encore pu en voir la moindre démonstration, bien sûr, mais paraît-il que sa machine pourrait automatiser des gestes simples de certains métiers, comme par exemple le travail en caisse d'un boulanger !

- Oh... passionnant, en effet... »

William venait de prononcer ces derniers mots avec une certaine retenue, la bouche en cul-de-poule (passez-moi l'expression), un sourcil un brin froncé et l'autre légèrement relevé.

« Il ne manque plus que monsieur Pendrick à interroger, si je comprends bien ?

- Effectivement, monsieur... vous préférez peut-être vous en charger vous-même, compte tenu de votre amitié commune ?

- Oui effectivement, George... vous pourriez vous occuper de boucler l'entrée, en attendant. »

Il fixait à présent James Pendrick, qui attendait impatiemment que quelqu'un se charge de l'interroger. Il remarqua la coiffure parfaite de son ami, comme à son habitude, ainsi qu'une mèche sauvage qui s'était détachée du reste de sa chevelure pour se promener sur son front. Il s'avança alors vers lui, espérant pouvoir l'écarter rapidement de la liste des suspects.

« Bonjour, monsieur Pendrick. J'aurais préféré que l'on se revoit dans d'autres circonstances, sachez-le...

- Moi de même, inspecteur. Vous ne me passerez pas les menottes, cette fois-ci ? »

Le ton de James Pendrick était mi-amusé, mi-inquiet. La seule différence avec le passé était le statut de leur relation, qui était passée des ennemis jurés aux vieux amis qui suscitent l'admiration l'un chez l'autre. Malgré tout, James savait pertinemment que s'il fallait le suspecter, l'accuser ou même le livrer à la justice, quelle que soit la nature de leur relation, l'inspecteur le ferait. Cette rigueur et ce sens du devoir moral étaient à la fois ce qui faisait la force de cet homme en amitié, comme ce qui pouvait en briser une.

« Sauf si vous y êtes pour quelque chose, vous ne risquez rien. »

Face à cette tentative de blague, les deux hommes se sourirent dans un léger moment de gêne.

« Bien, il va tout de même falloir que je vous pose quelques questions... à commencer par l'heure de votre arrivée sur place ? demanda William en sortant un calepin et un crayon, lui rappelant ses premiers pas au sein de la maréchaussée.

- Je suis arrivé aux alentours de 7h15, j'ai été accueilli par le Dr Dixon en arrivant. Il m'a montré l'emplacement de ma machine, que j'ai directement placée sans la monter entièrement tout de suite.

- Et ensuite ?

- J'ai préféré rejoindre mes concurrents dans la salle de repos un peu plus loin, autour d'un café. J'y ai croisé monsieur Cunningham, monsieur Holmes Burke ainsi que monsieur Turcotte, qui étaient en plein débat autour de leurs différentes machines. Je suis revenu dans cette salle vers 7h20, où j'ai croisé messieurs Landry et Sutherland, puis madame Anderson, à quelques minutes d'écart les uns des autres. C'est aux alentours de 7h30 que j'ai revu le Dr Dixon venir vers chacun d'entre nous avec un air affolé, puisqu'il venait de découvrir le corps. »

Murdoch acquiesça, comme pour remercier Pendrick d'avoir répondu à ses questions. Il se racla la gorge avant d'ajouter :

« Merci pour vos réponses... comme vous le savez, vous ne devez pas quitter la ville le temps de l'enquête, et vous rendre disponible...

- ...pour les besoins de l'enquête, je sais bien, oui. »

Un ange passa. L'inventeur osa un léger sourire :

« Est-ce que je peux vous inviter à dîner ce soir, inspecteur, ou l'enquête vous interdit de rendre visite à vos amis s'ils sont suspects d'une affaire ?

- Disons que si cela fait longtemps que les vieux amis ne se sont pas vus... je pense que ma hiérarchie pourrait le comprendre ? Cependant je me dois de vous prévenir que la Dre Ogden est attendue ailleurs ce soir...

- Cela ne pose aucun soucis. Nous pourrons discuter de ces derniers mois... en attendant, savez-vous si l'attribution des prix est maintenue cette après-midi... ?

- Je pense que cela pourra être maintenu, avança l'inspecteur. Cependant... nous aurons encore besoin d'étudier les lieux, notamment pour les analyses scientifiques, pendant un petit moment, donc il faudra interroger monsieur Dixon pour savoir si les horaires sont maintenus tout de même. »

Les deux hommes se saluèrent et Murdoch s'en alla, marchant de nouveau le long de l'allée et récupérant sa bicyclette soigneusement posée dans un buisson. Il l'enfourcha de nouveau et roula jusqu'à la station numéro 4.

L'inspecteur et l'inventeurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant