Chapitre 1

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Du...Sang..?... Un frisson me parcourt le corps quand je réalise ce que je tiens dans les mains : un couteau. Je ne sens plus ma main. Mais le liquide rouge qui dégouline sur mon avant-bras me fait prendre conscience de ce que j'ai fait.

1 Mois avant

Enfermée dans la chambre, comme toujours. C'est devenu une habitude à force. Même mon pensionnat ne fait plus attention à mes absences répétées. Je n'entends plus rien. Je suis enfoncée dans mon néant habituel. La tête sous l'eau, comme on dit.

J'ai faim, mais ne veux pas me lever. Il est environ treize heures. Tous les autres élèves ont déjeuné et sont en cours en ce moment. Pas moi. Je n'ai pas mangé depuis trois jours. Je veux à peine boire de l'eau, mais Serena me force. Alors j'essaie de lui faire plaisir, c'est la moindre des choses. C'est ma seule amie, ma seule meilleure amie.

Quand elle entre dans notre chambre commune, je suis allongée en étoile sur mon lit, à ressasser sans cesse des évènements passés. Des évènements traumatisants. Elle s'assoit à côté de moi, portant un bout de pain, du fromage et une bouteille d'eau.

— Je sais que tu ne veux pas manger, mais je t'ai quand même apporté ça, pour que tu ne puisses pas mourir de faim.

Je me lève et prends le pain et le fromage avec gratitude et mange en mâchant bien. Et pendant que j'avale, elle ajoute :

— Helene, je sais que tu passes par une période de dépression, mais ne te laisse pas mourir pour si peu. Quelle que soit la raison de celle-ci.

Puis, elle sort.

J'ai voulu parler. Mais je ne l'ai pas fait assez rapidement. Encore une chose que je regrette.

Je me lève après avoir fini mon sandwich pain-fromage et me dirige vers la salle de bains. Je m'avance, m'arrêtant devant le lavabo et récite à haute voix tout en fixant mon reflet dans le miroir, appliquant la technique que m'a conseillée Sera, pour ne pas perdre le fil de mes idées et ne pas m'enfoncer davantage.

« Je suis Helene, j'ai seize ans. Je suis en pensionnat depuis un semestre. J'essaie de combattre la dépression dans laquelle je suis tombée ». Je baisse les yeux, incapable de voir ce visage plus longtemps. « Mais je n'y arrive pas. »
Je suis sa photocopie. Impossible de l'oublier.

Je relève la tête et fixe le miroir. Je suis pâle, les cheveux gras et en bataille avec de gros cernes noirs. Mais même avec cette tête, je ne peux nier le fait qu'elle me suivra toute ma vie. Seulement à cause de la ressemblance frappante entre nous deux.

Je sors de cette pièce après avoir rincé mon visage. Le minimum que je me force à faire. Puis je m'assois par terre, recroquevillée.

Quelques heures passent quand Sera– un surnom affectif que j'ai donné à Serena, entre à nouveau dans la chambre en portant quelques livres. Je ne me lève même pas. Je sais que ce sont mes devoirs.

Elle fait tout pour garder ma réputation d'intello intacte. Elle en est plus fière que moi, d'ailleurs. Et elle a raison de l'être. Cette réputation est très importante, surtout dans notre pensionnat de riches.

Je prends le premier livre de la pile avec lassitude et sans motivation puis lis : Les Justes, Albert Camus. Je le repose lourdement. Mais Sera le reprend et le lâche sur ma tête. Ça fait un mal de chien.

— Ne commence pas Helene, lis le livre. Un peu de culture générale ne te ferait pas de mal.

Elle s'installe sur la chaise de son bureau et se lance dans ses exercices de mathématiques. Bien que nous soyons dans la même classe, je n'assiste plus aux cours, donc me pencher sur des équations du premier et deuxième degré n'a plus d'utilité pour moi. La lecture, en revanche, reste incontournable. Pendant un moment, je me contente simplement de fixer la couverture du livre, avant de passer le reste de ma soirée à observer Sera se creuser les méninges avec ses exercices de maths.

Elle n'est même pas allée dîner. Je ne dis pas qu'elle est gourmande, mais elle aime bien manger quand même.

Durant mes journées vides, je passe mon temps à décrypter les personnalités des gens qui m'entourent. Essentiellement celle de Sera.

C'est une fille froide. Stoïque. Agaçante. Intelligente. Qui ne laisse transparaître aucune de ses émotions. Mais derrière ce masque, elle est attentionnée, aimante et aimée. C'est une fille qui fait tout pour aider les gens à sa manière et est très attachée à moi. Elle ne veut pas me perdre. Et encore moins me voir en dépression. Elle m'aide comme elle peut : je lui serais à jamais reconnaissante.

Vers vingt-deux heures, Sera éteint la lampe de son bureau et se dirige vers son lit. Elle allume sa lampe de chevet. Entretemps, j'ai bougé du sol et me suis posée sur mon lit. Sans me laver les dents. Contrairement à Sera qui l'avait fait une heure plus tôt. Elle se pose sur le lit, se met sous la couverture, prend son livre et commence à lire.

Moi, je continue à la fixer. Elle se tourne subitement vers moi et me demande « Quelque chose te dérange ? Pourquoi tu me fixes depuis tout à l'heure ? »

Questions auxquelles je ne réponds pas.

            ***

Je me réveille, au beau milieu de la nuit.

Je me lève de mon lit pour boire de l'eau et me dirige instinctivement vers la salle de bain.

Je n'avais pas remarqué au début, mais il y avait des cris de femme, des cris lointains. Avec quelques sanglots étouffés. Plus je me rapproche de la pièce, plus les cris de cette femme résonnent de plus en plus fort.

Entrant dans la salle, je vais vers le miroir et me retrouve devant une inconnue. Ses cheveux bruns encadraient des yeux noisette et un nez fin, une beauté presque surnaturelle. Et en une fraction de seconde, elle se transforma. Son visage était marqué de bleus et son mascara dégoulinait. Elle baissa la tête, dissimulant son visage sous des cheveux désordonnés. Les cheveux qui étaient longs et lisses auparavant sont devenus courts, mal coupés, et non peignés.

Elle redresse sa tête brusquement et lance un appel poignant.

Helene, aide-moi s'il te plaît !!

C'est à cet instant que je comprends ce que ces voix me murmurent sans relâche : « Helene, aide-moi. »

Prise de panique, je me précipite hors de la pièce, criant à l'aide, cherchant désespérément Serena pour m'aider. La découvrant dans la même posture que la femme du miroir, elle murmure d'une voix presque inaudible avec une tonalité accusatrice :

— Tu m'as abandonnée, Helene. Viens, suis-moi, nous nous retrouverons, ne t'inquiète pas.

Submergée par des sanglots, mes cris retentissent de plus en plus fort, mes mains se refermant sur mes oreilles.

— Non, pas ça ! Non !!

Mes lamentations résonnent dans l'obscurité. Je m'effondre, impuissante.

— Désolée, je ne pouvais rien faire...pardonne moi, Iris ! 

IndifférentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant