Reproches à Morgane

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_octobre 1849_

Morgane était coupable. 

Morgane respirait, Morgane vivait mais Morgane tuait. 

Enfin, cela dépendait du jugement de chacun. Où se traçait la limite ? Il n'existait point de sujets sur terre où l'avis fut universel. Mais si un être sensé vivait dans la tête de la jeune femme, il la déclarerait sans doute coupable de son dernier crime. Car si elle avait toujours agi par vengeance, ce dernier ne faisant pas exception, le motif avait été altéré par un désespoir que n'avait pas provoqué les Graham. Un motif qui tendait à accroître la violence de ses meurtres. 

La haine grandissante qu'elle  éprouvait envers cette famille avait atteint son apothéose, son point culminant. Elle ne les avait jamais autant détesté et elle ne les détesterait plus jamais autant qu'en cet instant. Les sentimentaux invoqueraient sa soif de justice, l'expression de son amour pour les êtres qu'elle a aimé jadis mais les pragmatiques dénonceraient sa partialité, la faiblesse de ses émotions, soit trop fortes, soit inexistantes, et l'expression d'un esprit dépourvu de raisons. 

Et si la vérité c'était que les deux avaient torts. 

Si on laissait parler les zélateurs, Morgane ne suivrait aucune logique, ni celle de l'esprit, ni celle du cœur. Elle ne ferait qu'obéir aux fantômes d'un passé qu'elle rêve d'oublier. Des manifestations horrifiques cherchant le repos éternel que seule une vengeance efficace exaucerait. 

Mais tel n'était peut-être pas le cas.

Ce que voyait la jeune femme n'était ni plus ni moins qu'une projection. Alors se pourrait-il que tout le monde ait raison ? Morgane elle-même n'avait pas d'avis. Qui pourrait lui en vouloir ? Qui reprocherait à cette fille de 18 ans de vouloir vivre sans observer ses bourreaux s'enrichir et prospérer dans une richesse incommensurable ? La morale. Voilà ce qui répondais à la question. Un mot de cinq lettres qui reposait sur une théorie. Celle du bien et du mal.

En ce soir d'octobre 1849, à Kliffay, une nouvelle soirée de festivités se préparait. 

- Voici votre robe mademoiselle. Vous convient-elle ?

Morgane, qui se tenait devant la porte de sa chambre pour empêcher Ismérie d'y entrer, lui répondit à l'affirmative et la remercia.

- Mademoiselle ne souhaite-t-elle pas que je la lui apporte dans sa chambre ?

- Non, cela ne sera pas nécessaire, c'est très gentil. Vos services me sont toujours d'une grande aide mais j'ai le désir de me débrouiller par moi même, dès à présent. Voyez-vous, certaines de mes fréquentations m'ont fait la réflexion d'une certaine baisse de régime au niveau de notre classe sociale. En effet, il paraîtrait que les gens de ma condition ne serait plus capable de s'en sortir par eux-mêmes. C'est effrayant ! Je n'ai pas la moindre envie d'être associée à ce genre de stéréotypes puérils selon lesquels nous serions oisifs et paresseux. C'est d'une sottise !

La jeune femme retint sa respiration. En avait-elle trop fait ? Elle le craignait. Hélas, elle n'avait pas le choix. Il fallait à tout prix tenter de dissuader Ismérie de pénétrer dans sa chambre sous n'importe quel prétexte. 

- Bien, si tel est le souhait de mademoiselle. 

La jeune domestique fit un signe de tête poli et pris congé. 

Morgane put respirer à nouveau. 

Elle se changea et se rendit dans le même salon qu'hier soir où tous les invités patientaient. 

L'absence des membres de la famille Graham n'était plus de l'ordre de la spéculation. Les convives exposaient leurs théories sur le sujet à compte de discussion, et ce n'était pas les idées qui manquaient. Certains avaient même émit l'hypothèse d'une mise en scène spectaculaire digne des plus grandes intrigues de ce siècle, réalisée dans le but d'impressionner une bourgeoisie de plus en plus lassée par ces bals mièvres et sans réelle qualité si ce n'était la richesse de leurs décors et de leurs invités.

Morgane, elle, était fatiguée. Ses paupières étaient lourdes et son attention se faisait moins assidue. Sourire aux rares personnes qui lui prêtaient un semblant d'attention lui demandait un effort considérable. Pourtant elle était là, au milieu de ces prédateurs rôdant autour du malheur des autres tels des rapaces. 

La jeune femme ignorait si son esprit lui jouait des tours, mais bientôt elle eut l'impression que les dents des convives s'affinaient jusqu'à devenir parfaitement pointues. Après, ce fut leurs regards qui changèrent. Il lui semblait qu'ils convergeaient tous vers elle, la dévisageant sans scrupule. Morgane voulut partir mais se retrouva pétrifiée. Elle avait mal au crâne et un noeud à la gorge l'empêchait de crier. Ils savaient, tous. Leurs doigts crochus la dénonçaient. 

Morgane ouvrit les yeux. Elle s'était assoupie contre le mur. D'un regard, elle s'assura que personne n'avait remarqué ce moment de faiblesse.

Dans un coin de la pièce discutaient les femmes Graham. Madame De Liage, la seconde épouse de Gontran, et la belle Eugénie Borja, épouse d'Auguste Graham, tentaient de ne pas attirer l'attention. Malgré leur maquillage extravagant, des cernes étaient visibles sous leurs yeux soucieux. Morgane les détestait mais, en cet instant, une pointe de culpabilité l'assaillit. 

Viktor et Hypolite franchirent le seuil de la porte. La jeune femme les aperçut immédiatement. Ils la traitèrent avec une parfaite indifférence, sans même daigner la saluer, et se placèrent le plus loin possible d'elle.  

Morgane sentit cet abandon comme un énième coup de couteau qu'on lui aurait enfoncé dans la chaire. Un sentiment à mi-chemin entre la colère et le désespoir naquit en elle. 

Alors que la jeune femme se dirigeait vers la porte, l'invité surprise du dîner fit son entrée avec fracas.

- C'est une honte, scanda-t-il ! 

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⏰ Dernière mise à jour : Jun 20 ⏰

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