Si le Loup y Était

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_octobre 1849_

Morgane hésita à rompre le silence pour lui demander où il partait. Mais elle se rappela de l'histoire qu'il avait récité peu avant cela. 

Il  voulait qu'elle lui fasse confiance, c'était son intime conviction. Alors Morgane l'attendit. 

Peu de temps après, Hypolite revint. Il tenait dans ses mains la tige d'une feuille dont il n'avait gardé que la nervure principale, de sorte à obtenir une bonne longueur. 

 Le jeune homme semblait avoir recouvré ses esprits et posa un genou à terre lorsqu'il arriva à la hauteur de sa dulcinée. 

- Très chère demoiselle, bientôt mienne. Veuillez accepter mon modeste présent, signature de nos sentiments mutuels! 

Il avait prononcé ces quelques mots outrageusement, à la façon dont on déclamait une pièce de théâtre. Morgane accepta l'invitation et joua le jeu. Elle en avait envie.

- J'accepte, mon bien aimé, ce cadeau que vous me tendez! Oh combien vous me flattez de vos intentions! 

Il prit délicatement la main gauche qu'elle lui tendait  et noua la tige autour de son annulaire. 

- N'en voyez points d'autres que celles de mon amour car aujourd'hui vous êtes ma fiancée. Fleur de Lys parmi les Myosotis, votre parfum me tourmente. 

- Vos paroles sont des formules qui guident mes pensées. Seriez-vous un ange ?

Hypolite se releva. Ils rirent ensemble. 

- Si vous le désirez, je le suis. 

- Alors qu'il en soit ainsi! 

- Prenez ma main, douce promise, et dansons. Afin de ne jamais oublier cet instant.

- Faites-moi voler et je serais à vous pour l'éternité.

Joignant le geste et la parole, ils se mirent à danser. Ce fut un moment magique. Le jeune homme la fit virevolter plusieurs fois dans les airs et aucun des deux ne voulut mettre un terme à cela. 

La fatigue n'était pas de cet avis et vint les quérir un peu plus tard. 

Assis l'un à côté de l'autre, Hypolite sentit que c'était le moment de se confier. 

- Je me doit d'être honnête. Je ne supporterais pas de vivre avec vous si je vous cachais des secrets.  

Morgane acquiesça, elle savait qu'elle aussi avait des secrets encore dissimulés aux yeux du jeune homme et qu'elle ne pourrait lui cacher éternellement.

- J'ai fait des choses, poursuivit-il, que je regrette. On m'y a contraint mais ce n'est pas une excuse, on peut toujours choisir de faire mieux. J'aurais tant voulu ne jamais y être mêlé. 

- Quelles choses exactement, Hypolite ? 

La jeune femme repensa aux paroles de Clotilde. Les rumeurs seraient vraies ?

Il se releva d'un bond et jeta des regards furtifs autour d'eux. Il aida ensuite Morgane à se relever et déclara:

- Venez, j'aimerais vous montrez un lieu splendide. 

La jeune femme le suivit mais elle sentait que quelque chose n'allait pas. 

- Que se passe-t-il ?

Il mit son doigt devant sa bouche, l'invitant à se taire.

- Je crois qu'on nous suis, chuchota-t-il.

Le cœur de Morgane se serra. 

- Vous en êtes sûr ?

Le jeune homme fit signe que non. Ils pressèrent le pas et elle entendit un bruit de craquement derrière eux. Elle se retourna. Rien. 

- Hypolite...

- Suivez-moi, je connais un endroit où on pourra les semer. 

Les jeunes amants parvinrent à un large cours d'eau. Morgane remarqua une petite barque en bois qui semblait les attendre sur la rive. 

- L'eau est profonde et le courant bien trop fort que pour que quelqu'un ose s'y aventurer, à pied ou à la nage, murmura-t-il. 

La jeune femme se contenta d'acquiescer. Hypolite l'aida, non sans mal, à grimper dans la modeste embarcation et lui succéda. La pression qu'exerçait le courant sur la barque fit vaciller ses occupants.  

- Je crois que j'ai aperçu quelque chose. 

Morgane avait vu une ombre filer au loin. À moins que ce ne fut son imagination qui lui jouait des tours ?

Le jeune homme se pressa de défaire le noeud qui retenait la modeste embarcation et saisi une rame. 

Desaigu s'interrogeait. Était-ce le même individu qui avait glissé le mot dans sa chambre qui la poursuivait à présent ? C'était fort probable. À moins que leur homme mystère n'en avait en réalité qu'après Hypolite ? Et s'il possédait une arme à feu ?

La jeune femme, voyant que son compagnon peinait à progresser, saisi la seconde rame et s'appliqua à la tâche. Ils luttaient contre le courant avec acharnement pour ne pas se retrouver emporté au loin. 

- Ne cessez pas, nous y sommes presque, encouragea le jeune homme.

En effet, quelques secondes plus tard, l'embarcation atteignait le rivage opposé. 

Morgane sauta sur la terre ferme. 

- Nous ferions mieux de nous presser. Si notre poursuivant possède une arme à feu nous ne sommes pas tirés d'affaire.

Hypolite approuva et se dépêcha d'attacher la barque. 

- Si nous continuons tout droit, nous arriverons sur un petit sentier. Celui-ci nous conduira jusqu'à Kliffay. 

Sans tergiverser davantage, ils progressèrent à grand pas dans la forêt. 

Hypolite jeta un regard par dessus son épaule et blêmit. Morgane l'imita. Elle était là, la silhouette mystérieuse qui les épiait depuis l'autre côté du rivage. Elle se tenait à l'endroit exacte où ils avaient pris la barque. 

- Cours!

Elle obéit à l'injonction sans hésiter. 

Après une course effrénée, les jeunes amants s'arrêtent au niveau d'un sentier. Le cœur de la jeune femme battait à toute allure. Si bien qu'il leur fallut deux minutes pour reprendre leur souffle. 

- Je crois, dit Morgane la respiration haletante, que nous sommes hors de danger à présent.

Son compagnon approuva.

- Ne tardons pas à rentrer à Kliffay. J'ignore qui en a après nous, mais nous serons plus en sécurité là-bas. 

Desaigu n'était pas tout à fait d'accord avec lui mais la chaleur de la demeure lui manquait.

- Vous savez, ajouta-t-il lorsqu'ils remontaient le sentier, quelque chose pourrait nous arriver à tout instant. 

« On pourrait perdre la vie d'une minute à l'autre. C'est là toute la complexité de notre existence. Je sais que vous en avez conscience plus que quiconque. » 

« Viktor et moi avons un accord. Cela peut paraître macabre, mais nous avons une lettre à l'intention de l'autre, dans l'éventualité où l'un de nous viendrait à mourir. Celle pour Viktor est sous mon oreiller. Je la réécris chaque semaine. Aujourd'hui, pour la première fois, il y en aura deux. Je veux que vous le sachiez. »

Morgane en fut émue. Leur poursuite dans la forêt et puis ces paroles touchantes. Cela lui faisait de l'effet.

- Merci...

Elle s'interrompît. Sa petite sœur venait de traverser le sentier en courant, juste devant eux. Elle vacilla. L'endroit lui semblait familier.

Vengeances MacabresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant