Arrivée à Kliffay

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_octobre 1849_

- J'ai rendez-vous avec Monsieur Graham.

Le valet eut une expression exaspérée.

- Gontran Graham, précisa l'inconnue.

- Bien, veuillez patienter un instant que j'aille prévenir monsieur. 

Elle hocha la tête et l'homme disparu derrière la grande porte en bois. La jeune femme observa la façade plus attentivement et constata qu'un petit garçon l'observait de l'une des nombreuses fenêtres que comptait cette riche demeure. Kliffay était un pur chef-d'œuvre du style gothique dont la réputation n'était plus à faire. Il était de notoriété publique que ses bals étaient à la hauteur de la couronne. Entre ses murs se pavanaient les jeunes aristocrates de la région, autrement dit, l'élite. 

- Veuillez m'excusez mademoiselle, mais monsieur ne revient de son voyage que ce soir, informa le vallet en revenant après dix minutes.

L'étrangère fronça les sourcils visiblement ennuyée.

- C'est fort regrettable. Je vais devoir passer la nuit dans une auberge.

- Mademoiselle...?

- Morgane.

- Mademoiselle Morgane désirerait peut-être rencontrer le fils de monsieur ?

- Ce serait très appréciable, en effet. 

- Bien, dans ce cas, si mademoiselle veut bien me suivre. 

Le majordome ouvra la grande porte et ils pénétrèrent tous deux dans le hall. C'était une pièce impressionnante qui devait être à l'image de ses invités, splendide. Les murs étaient tapissés d'une couleur rouge sang  avec des motifs dorés. Au milieu, un grand escalier de marbre recouvert d'une moquette de la même teinte se divisait en deux pans avant de rejoindre une mezzanine menant à ce qui devait être l'étage supérieur. Seul la lumière du vitrail central éclairait la pièce sombre, les nombreuses fenêtres que comportait le manoir étaient trop petite que pour permettre un éclairage optimal. 

- Par ici.

L'homme désigna une petite porte sur le côté gauche et Morgane le suivit.

- Si mademoiselle me permet...

- Je vous en prie, faite.

Il frappa trois coups et une voix grave répondit. La jeune femme lissa sa robe.

- Mademoiselle Morgane demande à vous voir monsieur.

- Faites là entrer.

- Bien monsieur.

Il ouvrit la porte et la chaleur de la pièce s'en dégagea. Le crépitement de la cheminée sonna comme une douce mélodie aux oreilles de la demoiselle qui descendit les quelques marches qui menaient au cabinet avec empressement. 

- Merci Rodolphe, vous pouvez disposer. 

L'intéressé disparu en prenant soin de refermer la porte derrière lui. 

- Enchanté. Monsieur Graham, Auguste Graham, précisa-t-il. 

- Morgane Desaigu, ravie de faire votre connaissance.  

- Je vous prie de bien vouloir nous excusez pour cet accueil...Disons peu agréable.

- Oh mais ce n'est pas de votre faute. C'est vrai que cet entretien avait été réglé il y a déjà un moment, je comprends tout à fait que votre père ait pu oublier. Mais j'admet que c'est un peu ennuyeux.

- Ne vous inquiétez pas. Vous aurez le loisir de loger à Kliffay pour la nuit en dédommagement de ce petit incident. D'ailleurs, ça tombe bien, nous organisons un bal ce soir. Vous n'aurez qu'à vous joindre aux invités. 

- Merci beaucoup, vous êtes trop bon monsieur Graham ! 

- C'est dans la nature des Kliffay. Toujours être bon et juste.

Il avait dit cette dernière phrase sur le ton de celles qu'on connaissait par cœur. Ce devait être la devise de la famille ou quelque chose dans le genre. Le bureau devant lequel se trouvait monsieur Auguste était imposant. Taillé dans un bois sombre, il n'en était pas moins riche en détails. L'organisation de la pièce en disait long sur sa personnalité. Chaque feuille, chaque carnet, chaque petit objet avait sa place. Rien n'était laissé au hasard.  Morgan en déduisit qu'il devait être une personne minutieuse et précise. Pas le genre à qui l'on mentait au nez et à la barbe. 

- Ainsi vous aviez rendez-vous avec mon chère père. C'est tout de même étonnant qu'il ne vous ait pas prévenu. Voyez-vous, mon paternel est une personne organisée en temps normal. Mais tout le monde fait des erreurs après tout, c'est que ce voyage comptait beaucoup pour lui. Ne vous faites pas de souci avec ça. 

- Encore une fois, merci beaucoup. 

Monsieur Graham hocha la tête et invita Morgane à prendre congé. Ce qu'elle fit, bien évidemment. Elle avait sentit dans le comportement de son hôte une certaine retenue. Sans doute trouvait il inadmissible le fait qu'une jeune femme comme elle ne soit pas accompagnée d'un chaperon pour la surveiller. Quoi qu'il en fut, Morgane se fichait de ce que pouvait penser cette personne. Lorsque la servante lui eut indiqué sa chambre, la demoiselle lui fit part d'un détail qui avait son importance : elle n'avait pas de robe pour le bal. La femme de chambre lui promit de faire de son mieux pour lui en dégoter une qui vaille et elle la remercia.

- Mademoiselle Morgane, madame possède une grande garde robe entièrement à la disposition des invitées. Elle est là depuis des années. Je vous ai ramené une de ces robe...

- Oh merci Ismérie, ce sera parfait, vous êtes un ange ! Des nouvelles de monsieur Graham ? Est-il revenu de son voyage ?

- Non pas encore mademoiselle. Mais si j'étais vous je m'apprêterais déjà pour le bal. A mon avis il ne rentrera pas ce soir. 

- Bien, merci beaucoup. Ça ne m'arrange pas vraiment mais c'est ainsi.   

La servante quitta la chambre et laissa Morgane seule. La perspective d'assister à un bal sans faire la moindre contribution était grisante. Elle sortit de son sac une montre à goussets, les aiguilles indiquaient 16 h 30. Parfait se dit-elle, j'aurais le temps de faire un petit tour avant.  Son premier objectif était de trouver la bibliothèque, son lieu de prédilection. La jeune fille se fixa une heure pour la trouver et s'aventura hors de sa chambre. Tout était éclairé à l'aide de chandelier. Ce qui donnait un petit côté charmant. Le hall était maintenant rempli. Le personnel de maison et diverses invités s'y entassaient. Morgane prit soin de longer les murs pour éviter toute interaction. Elle n'avait jamais été très à l'aise avec les gens. Surtout qu'ici, à Kliffay, tout ce qui sortait de votre bouche pouvait vous porter préjudice. Alors qu'elle se dirigeait précipitamment vers une grande porte qu'elle soupçonnait renfermer la bibliothèque, elle remarqua quelque chose. Un jeune homme la fixait. La jeune fille fit mine de rien et continua son chemin. Une main se referma sur son épaule.

- Qui êtes-vous ?


Vengeances MacabresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant