Je me retournai vivement en le foudroyant du regard. La chanson « elle a les yeux revolvers » était appropriée à ce moment-là. J'espérai qu'il voit le mécontentement le transpercer à travers mes yeux. Il esquissa un sourire dans ma direction ce qui fit apparaître une fossette sur sa joue gauche et le défi emplit ses yeux.
Madame Obry nous servit le thé. Je me pressai de prendre la tasse et de humer le doux parfum qui s'en dégageait comme pour chasser mon stress et me plonger dans un nuage de douceur. Après ce court instant de magie, je concentrai mon regard sur ma mère en essayant d'ignorer « gueule d'ange » et « vieille chouette ».
Elle avait les cheveux soigneusement coiffés en arrière en un chignon, quelques mèches blond doré s'étaient échappées de celui-ci et lui encadraient le visage. Elle avait la peau porcelaine et ses yeux verts tranchaient avec celle-ci, ses lèvres étaient roses et charnues. Ma mère de ce monde était belle, une beauté limite sauvage. Elle imposait le respect dans sa posture, dans ses manières. Les angles de son visage étaient aiguisés, droits, sans défauts comme si un ange les avait sculpté juste pour elle. Je ne l'avais que très peu vu vieillir depuis ma naissance dans ce monde, comme si le temps s'arrêtait pour certains après la nuit de L'ascension. D'autres vieillissaient presque normalement comme l'intendante et les serviteurs. Je n'avais pu observer que la peau du visage et du cou de ma mère, tout le reste de son corps a toujours été couvert par du tissu du bout des bras jusqu'en bas de ses pieds. Ses gants blancs étaient comme une seconde peau sur ses mains fines. Je me suis toujours demandé si elle avait eu des problèmes avec la saleté ou les microbes pour les porter en toutes circonstances.
Elle portait aujourd'hui encore une longue robe, de couleur vert pâle, cintrée à la taille. Les manches recouvraient ses bras fins en épousant la forme de ses membres, le col remontait jusqu'à la base de son cou droit. Le tissu vert retombait sur ses hanches de façon fluide ne laissant entrevoir que le bout de ses chaussures. La richesse qui régnait dans la demeure contrastait avec les habits de ma mère. Elle se vêtit sans grande fioriture sur ses vêtements, sans étalage de parures qui auraient pu donner un indice sur le rang de notre famille. Elle n'avait pas besoin de tous ses artifices pour inspirer le respect à chaque personne qui entrait chez nous, seul son nom suffisait.
Je ne savais que trop peu de choses de l'histoire qui constituait cette famille. L'histoire familiale, toutes les connaissances sur le royaume ainsi que ses lois ne devaient être transmis qu'après la nuit de la cérémonie, une fois qu'on était reconnue en tant que « véritable » aux yeux du roi. Je pense que je ne connaîtrai jamais réellement ce monde. Il faudrait que j'arrive à survivre sans me faire démasquer jusqu'à mon dix-huitième anniversaire, sans parler du risque plus qu'inévitable que ma tête quitte mon corps lors de l'ascension.
Ce jour-là tout le monde saura ce que je suis et la honte s'abattra sur ma famille de substitution. Mon cœur se serra en pensant à Ian qui ne méritait pas de tomber en disgrâce et de souffrir de manque d'affection encore plus que maintenant.
Je me fis violence pour chasser cette image de mort imminente. Une mort m'avait suffi, j'aimais trop la vie. Il me restait un an pour soit accepter ce destin funeste ou essayer de trouver une échappatoire à cette fin tragique.
Ma mère se racla la gorge ce qui me sortit de mes pensées et me rappela pourquoi j'étais là. Je la vis se redresser dans son siège ce qui annonça le caractère sérieux de la conversation qui allait suivre. Je hochai la tête dans sa direction en plantant mes yeux dans les siens pour manifester que toute mon attention lui était acquise.
« Ari comme tu le sais dans un an, tu auras ton ascension. J'acquiesçai. Cet évènement aura lieu devant le roi et la reine, d'ailleurs Dame Christy ici présente t'a déjà préparé à la valse pour ce jour. Elle but une gorgée de son thé - Elle continuera son enseignement en t'inculquant l'art du thé et les codes de la haute société – Je voyais déjà du coin de l'œil, la fierté transpirer des pores de veille chouette, je n'arriverai donc jamais à me débarrasser de cette mégère - pour cela tu vas pouvoir assister à des parties de thé organisées avec des damoiseaux et demoiselles qui vont eux aussi avoir leur ascension en même temps que toi. »
Sans m'en rendre compte je m'étais penchée en avant sur mon siège en direction de ma mère pour ne rien louper de cette nouvelle. Je ne pus m'empêcher d'écarquiller les yeux et de sourire. J'allais enfin pouvoir sortir, voir autres choses que notre jardin, voir des nouveaux visages. C'était un vent de liberté qui me parvenait, peut-être même une solution pour rester en vie avec un peu de chance. Le destin me souriait enfin.
Elle me regarda avec un sourire malicieux et des yeux pétillants. Elle pointa son doigt dans les airs « Mais attention jeune fille, tu ne seras pas seule, Jérémy sera ton chaperon. »
Le coup de massue que je reçus m'enleva tout sourire. Je sentis son pied taper contre le mien comme un chien qui bat de la queue pour manifester sa joie. Je ne lui donnerai pas satisfaction, hors de question que je tourne mon regard vers lui en cet instant. Je feins de l'ignorer.
« Bien, mère. » dis-je sur un ton résolu. Je ne voulais pas laisser passer cette chance de pouvoir rencontrer d'autres personnes.
« Le but de ces goûtés est avant tout de rencontrer un jeune homme de bonne famille et de commencer à créer ton réseau de connaissances. Je te dis ceci et j'insiste car la nuit de la cérémonie tu devras te faire marquer par un homme ». Son ton était devenu grave, son index pointait toujours en l'air autour d'elle, faisant des mouvements comme pour marquer l'importance de l'information qu'elle me délivrait.
« Marquer ? C'est-à-dire... »
Je vis la surprise passer très vite sur son visage pour être remplacé par de la gêne.
« Jérémy t'expliquera ça, pour le moment je veux que tu comprennes que si tu ne trouves personne à ton goût et qui correspond aux critères de notre famille... elle fit une pause et se pinça les lèvres ce qui les rendaient encore plus pâles, son visage était devenu blême. Ton père choisira quelqu'un pour toi et je ne pourrai... »
Je hochai lourdement la tête, les paupières closes. Je compris son avertissement, qu'elle serait impuissante face au Duc de Mappa si celui-ci décidait pour moi. Personne ne pouvait aller contre ses décisions, on devait les subir en silence.
« Bien ! Je suis heureuse que tu me comprennes. Je dois encore aborder un point avec toi. Elle rebut une gorgée de thé comme si celui-ci contenait un élixir nécessaire à donner du courage pour poursuivre cette conversation. Est-ce que Jérémy te plaît ? »
Cette question me prit complètement au dépourvu. Je m'étouffai à présent avec ma gorgée de thé. Je toussai, Jérémy me tendit une serviette en se penchant vers moi. Tout son corps avait bougé très rapidement, cela lui avait donné l'occasion de se rapprocher de moi dans le canapé. Son pied me touchait toujours, mais à présent sa cuisse touchait la mienne à travers le tissu fin de ma robe. J'aurais bien tracé une ligne sur le canapé pour délimiter celui-ci en deux comme le mur de Berlin.
« Désolée, je t'ai prise au dépourvu mais ma question est sérieuse. Jérémy a été engagé par ton père et si celui-ci te déplaît physiquement, ne t'attire pas, n'hésite pas à me le dire. Je te proposerai d'autres candidats tout aussi compétents ». Je pense qu'à cet instant ma mâchoire venait de se décrocher du reste de mon crâne. Ma mère lança un regard furtif à Jeremy qui n'était pas des plus amicaux, cela fut rapide mais pas assez pour que je ne le remarque pas.
« Je... Je ne comprends pas » réussis-je à balbutier.
Madame Christy se dépêcha de répondre. « Je pense qu'il lui plaît, vu ce que j'ai pu observer pendant la valse. » Gueule d'ange afficha un léger sourire et sa fossette réapparut.
« Bien ! Jérémy va passer du temps avec toi pour te former et t'aider à développer tes capacités avant la cérémonie. Elle ne me laissa pas le temps de poser davantage de questions. Il va être très présent et c'est pour cela qu'il prendra la chambre de Ian juste à côté de la tienne pour vous donner plus d'intimité. Jérémy répondra à toutes tes questions sur ce sujet. »
Elle envoya un regard vers celui-ci qui acquiesça, cela sonna la fin de la conversation sur le sujet.
Mon cerveau bouillonnait à présent de questions et d'incertitudes. Je ne suivis pas la suite des conversations pendant le reste cette après-midi trop occupée par les révélations qui m'avaient été données. Des capacités ? Me former ? j'allais devoir affronter Jérémy et sa proximité pendant un an, mais avant ça je devais rassembler mon courage pour lui soutirer toutes les informations nécessaires à ma survie.
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La voleuse d'âme
ParanormalAri est venue au monde en tant que réincarnée. Elle est née dans la mauvaise famille et doit cacher sa vraie nature. Mais la cérémonie de l'ascension approche pour elle, le risque d'être découverte à ce moment-là est grand. Une guerre entre « vérita...