Chapitre 21

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MAUVAISE FOI
— ♠ —
En entrant, je m'effondre presque contre lui, posant ma tête sur son épaule dans un réflexe absurde. Comme si je pouvais y trouver une once de chaleur. Comme si lui, de toutes les personnes sur cette foutue planète, pouvait offrir du réconfort.
Il ne bouge pas, son corps reste figé, tendu. Puis, d'un geste sec, il claque la porte derrière nous et tourne la clé. Le bruit résonne dans l'obscurité pesante de la pièce.
Il me lâche sans ménagement. Mon corps chute sur le canapé, juste à côté de Catherine, paisiblement endormie sous un drap léger.
Ses pas résonnent contre le parquet. Il retire son pull avec lenteur, l'accroche soigneusement au porte-manteau avant de s'accroupir face à moi. Trop proche. Son regard froid plonge dans le mien, sans aucune chaleur, juste cette foutue supériorité qui m'a toujours donné envie de vomir.
— Tu n'as vraiment pas changé.
Un sourire en coin tord sa bouche, et je ressens l'envie soudaine de le gifler.
Cette phrase. Encore cette putain de phrase.
Qu'est-ce que ça veut dire, bordel ? Que je suis toujours aussi pathétique ? Toujours aussi facile à briser ?
Mon regard se durcit. Je ne cillerai pas. S'il pense pouvoir me troubler, il peut crever. Mais mon corps, lui, me trahit. Mon cœur cogne fort dans ma poitrine, et la rage m'étouffe.
Il ricane, un son sec et désagréable qui semble gratter l'air. Son rire me donne envie d'hurler.
Puis, lentement, il lève une main et effleure mes cheveux, comme si ce geste était anodin. Comme s'il n'y avait rien de plus naturel que ce contact.
Mon estomac se noue instantanément.
Non.
La sensation est aussi dérangeante que brutale. Son doigt glisse contre une mèche, sa paume frôle ma joue. Son geste est vicieux. Je frémis malgré moi.
Putain.
Je le hais.
D'un coup sec, je repousse sa main.
— Ne me touche pas.
Un éclat d'amusement traverse ses yeux.
— Qu'est-ce que tu veux ?
Il souffle cette phrase comme si elle était insignifiante. Comme si ma présence ici était un simple désagrément, un moment à supporter avant de retourner à des choses plus importantes.
Assez.
— Ce que je veux ? dis-je en laissant échapper un rire sans joie. Waouh. Tu veux VRAIMENT savoir ce que je veux ?
Il ne répond pas, attendant simplement que je crache mon venin.
Alors je le fais.
— Je veux que tu t'excuses, enfoiré.
Son sourire s'efface, son expression devient neutre. Glaciale.
L'espace d'un instant, je me demande si j'ai touché une corde sensible. Si j'ai enfin réussi à le fissurer.
Puis, il se lève lentement, me dominant de toute sa hauteur.
— C'est dans ce genre de moment que je déteste être avec toi.
Ses mots me frappent de plein fouet.
Il tourne les talons, déjà prêt à disparaître dans l'ombre du couloir, me laissant derrière comme si je n'étais qu'un putain de déchet.
Non. Pas cette fois.
— Peu importe si tu n'aimes pas être avec moi ! criai-je. Je veux que tu t'excuses, espèce de lâche !
Il s'arrête net.
Puis, brusquement, il se retourne, la rage brûlant dans son regard.
— Désolé alors ! hurle-t-il en avançant vers moi. Ça te va ? Tu peux me foutre la paix maintenant ?
Sa voix claque dans l'air comme un coup de fouet.
Mais moi aussi, j'ai du venin à cracher.
Je me lève d'un bond, mes poings tremblant sous l'adrénaline.
— Non, connard ! dis-je en m'approchant, le défiant du regard. Je veux une vraie putain d'excuse ! Que tu reconnaisses ce que tu m'as fait ! Que tu regrettes au point d'en crever !
Mon souffle est court, mes paroles dégoulinent de haine, et pourtant, quelque part au fond de moi, je sais que je quémande une chose qu'il ne me donnera jamais.
Il éclate de rire. Un rire sec, brutal, cruel.
— C'est quoi ton problème, sérieux ? Tu te prends pour l'héroïne d'un mauvais film dramatique ?
— Je me prends pour la sœur de ta copine, connard.
Je n'ai plus de filtre. Plus de retenue. Plus rien à perdre.
— Et t'as aucune idée de ce que tu m'as fait. Aucune putain d'idée de ce que j'ai ressenti, seule, cette nuit-là.
Il me fixe, et l'espace d'un instant, j'y crois.
J'y crois comme une imbécile.
Puis, il lève les mains en l'air, un sourire cruel aux lèvres.
— Et alors ?
Putain.
Ses mots sont une gifle. Un coup de poing en plein ventre.
Il ne ressent rien. Pas une once de culpabilité, pas un soupçon de regret.
Il ne ressent rien.
Mes jambes tremblent sous moi. Je déteste ça. Cette faiblesse. Cette sensation d'être encore, une fois de plus, la seule à souffrir.
Les larmes montent, incontrôlables, brûlantes. Je déteste pleurer devant lui.
Je serre les dents, tentant de les ravaler.
Mais elles coulent.
Et lui, il regarde.
Sans un mot. Sans une once d'empathie.
Je plaque mes mains sur mon visage, tentant désespérément de contenir les sanglots, de masquer cette faiblesse qui me consume. Je refuse de lui donner ce spectacle.
Alors, je me détourne, prête à partir, à m'éloigner avant que cette douleur ne m'engloutisse entièrement.
Mais je n'en ai pas le temps.
Ses doigts se referment sur mes bras, fermes, intransigeants.
Je me débats, tente de me dégager, mais je suis trop épuisée, trop vidée.
Sa poigne est un étau.
— Désolé, murmure-t-il à mon oreille, d'une voix d'une douceur trompeuse. Je suis désolé. Je suis sincère, cette fois.
Un frisson de rage me traverse.
Il croit que ça suffit ?
Il croit que quelques mots murmurés dans le noir suffisent à effacer les mois de douleur, les nuits à ressasser, le poids qu'il a laissé sur mes épaules ?
Non.
Pas cette fois.
Dans un ultime sursaut de force, je repousse violemment ses bras et me retourne vers lui. Mon regard est brûlant de colère, de tristesse, de dégoût.
— T'es qu'un putain de menteur ! crachai-je, la voix brisée. Tu ne sais même pas de quoi t'es soi-disant désolé !
Je cherche dans ses yeux une trace de sincérité, un éclat de regret.
Mais il est impossible à lire. Toujours aussi impassible, toujours ce masque trop bien ajusté.
Alors je le frappe.
D'un coup sec, je le pousse, et il recule, sans résistance, jusqu'à heurter le mur près du couloir.
Ma poitrine se soulève sous la rage, sous l'adrénaline qui pulse dans mes veines.
Puis mes poings s'abattent sur lui.
Une, deux, trois fois.
— T'es... T'es qu'un abruti !
Mes coups pleuvent, incontrôlables.
— Un putain d'abruti !
Je me fiche de savoir s'il a mal ou non. Ce n'est pas physique. Ce n'est pas son corps que je veux blesser, c'est son foutu cœur que j'aimerais transpercer.
— Une saleté qui ne mérite même pas sa place dans ce monde !
Mes mains tremblent sous la fureur. Je frappe, encore et encore, comme si ça pouvait m'alléger, comme si ça pouvait effacer tout ce qu'il m'a fait.
Puis, il bouge enfin.
D'un geste rapide, il attrape mes poignets, bloquant mes bras contre son torse.
— Écoute, petit poussin, calme-toi, OK ?
Son ton a changé. Moins froid, plus posé.
Et ça me dégoûte encore plus.
Mes jambes cèdent sous moi. La fatigue, la douleur, l'épuisement mental.
Je bascule vers l'avant, mon front s'écrasant contre son torse.
Et je pleure.
Des sanglots incontrôlables, qui me secouent comme une poupée brisée.
Il ne dit rien, il ne me repousse pas non plus.
Ses mains se posent sur mes épaules, un geste qui se veut apaisant.
— Calme-toi...
Son murmure flotte dans l'air, mais je ne veux pas de son apaisement.
Alors, d'un geste sec, je le repousse.
— Laisse-moi.
Ma voix est étranglée, mais glaciale.
— Je ne veux pas que tu sois là.
Je m'écarte, m'effondre sur le canapé, incapable de soutenir son regard une seconde de plus.
Il hésite.
Je l'entends se déplacer, reculer d'un pas. Puis deux. Il disparaît dans le couloir.
Le silence retombe comme un couperet.
Je laisse échapper un soupir tremblant, essayant de reprendre pied dans cette tempête qui ravage mon crâne.
Puis, des bruits de pas.
Je lève les yeux juste à temps pour le voir déposer des vêtements à côté de moi.
Il se gratte la nuque, mal à l'aise pour la première fois.
— Euh... Tu ne peux quand même pas dormir avec un jean.
Je fixe les vêtements, mais je ne le regarde pas.
Je suis trop fatiguée pour répondre. Trop brisée pour me battre encore.
— Montre-moi la salle de bain, dis-je d'un ton sec. Ensuite, tu pourras mettre une couverture sur le canapé. Je dors ici.
— Non, mais-
— S'il te plaît, coupai-je froidement.
Il comprend.
Il abandonne.
Sans un mot, il me tourne le dos et avance. Je le suis en silence, les vêtements serrés contre moi comme un bouclier invisible.
Il ouvre la porte de la salle de bain. Un geste banal, et pourtant... il semble plus lourd qu'il ne devrait.
Je referme la porte derrière moi, me retrouvant seule face à mon reflet.
Et ce que je vois me terrifie.
Un visage fatigué. Des joues humides, des lèvres tremblantes, des yeux trop rouges, trop pleins de douleur.
Je prends une inspiration saccadée.
Je dois effacer ça.
J'ouvre le robinet et laisse l'eau froide couler sur mes joues, tentant de chasser les traces de son impact sur moi.
Puis, lentement, je me change.
Le tissu est doux, confortable, mais je hais l'odeur.
Elle sent le propre. Elle sent lui.
Un léger coup résonne contre la porte.
— Quand t'auras fini, laisse tes vêtements sur la machine.
Je ne réponds pas.
Je fais ce qu'il dit. Puis j'attends.
Quelques minutes, peut-être plus. Le temps que son ombre disparaisse du couloir.
Puis, je ressors.
L'appartement est plongé dans l'obscurité. Chaque porte fermée. Chaque espace soigneusement verrouillé.
Je regagne le salon en silence.
Je m'assois sur le canapé, fixe le pot de Nutella sur la table basse.
Sans réfléchir, je plonge la cuillère dedans.
Un besoin désespéré de distraction. Un refuge sucré contre l'amertume.
J'ouvre mon téléphone, fais défiler les photos et vidéos envoyées par Cassie et Addison. Elles passent une soirée parfaite.
Une photo attire mon attention.
Jazzmen, en arrière-plan, en train de manger des guimauves avec un sourire stupide.
Je secoue la tête, un sourire amer aux lèvres.
Puis, mon regard glisse vers Catherine.
Toujours profondément endormie, insensible au chaos qui règne autour d'elle.
Je murmure, presque sans m'en rendre compte :
— T'as des amis, toi ?
Le silence me répond.
Je fronce les sourcils, réalisant la stupidité de ma question.
Elle dort. Évidemment qu'elle ne va pas me répondre.
Je soupire et m'allonge sur le canapé.
L'écran de mon téléphone continue de défiler, mais mes paupières deviennent lourdes.
— ♠ —
Des bruits sourds me tirent lentement du sommeil. D'abord lointains, puis de plus en plus clairs.
Le mur voisin vibre sous un rythme beaucoup trop familier.
Je ferme les yeux, espérant encore rêver.
Mais non. Ils baisent.
— C'est pour ça que j'aime pas les appartements, soufflai-je en roulant sur le dos.
Je tente de retrouver le sommeil, en vain. Chaque gémissement, chaque grincement du lit me fait sursauter.
Ce ne sont pas tant les bruits qui me dérangent.
C'est l'idée qu'ils soient si proches.
Juste de l'autre côté.
Un frisson désagréable parcourt ma colonne vertébrale lorsque j'entends une porte s'ouvrir dans le couloir, suivie d'un bruit sourd alors qu'elle se referme.
L'abruti doit être allé aux toilettes.
Le silence revient un instant, presque reposant.
Puis, la porte s'ouvre de nouveau.
Je ferme les yeux plus fort. Faites que ce cauchemar sonore cesse.
Catherine se glisse contre moi, son petit corps chaud et pelucheux se lovant sous mon bras. Une bénédiction dans ce bordel.
Puis, des pas résonnent dans le salon. Lents. Posés.
Une odeur de fumée envahit l'air, piquant légèrement mes narines.
Sérieusement ? Il fume à cette heure ?
Je réprime un soupir exaspéré, priant pour qu'il s'éclipse vite.
Mais au lieu de ça, sa voix perce le silence.
— Antonio profite de sa nouvelle copine ?
Son ton est neutre, légèrement moqueur. Il laisse échapper un ricanement.
Génial.
Donc non seulement il n'a aucun respect pour mon sommeil, mais en plus il est au courant des performances du voisin.
Catherine quitte mes bras lorsque l'abruti s'approche.
Merde.
Je garde les yeux fermés, faisant mine de dormir.
Mais ça ne l'arrête pas.
Je sens ma couverture glisser légèrement, puis...
Ses mains.
Sous mes genoux, sous ma nuque.
Et sans effort, il me soulève.
Attends, il fait quoi là ?
Je garde mon corps détendu, mais mon cœur cogne violemment contre ma poitrine alors qu'il marche, me transportant je-ne-sais-où.
Puis, je touche du tissu.
Un matelas. Son lit.
Il me couvre soigneusement, comme si j'étais une foutue poupée de porcelaine.
Sérieusement ?
Je le sens s'asseoir à côté de moi, son regard pesant sur mon visage.
Puis... ses doigts effleurent mes cheveux.
Un geste lent, presque... doux ?
— Bonne nuit, petit poussin, murmure-t-il.
Je l'entends se lever, un léger froissement de tissu, puis des pas s'éloigner.
Il va partir.
Bien.
Enfin... devrais-je pas être soulagée ?
J'ouvre discrètement un œil et l'aperçois, une main sur un coussin, s'apprêtant à quitter la chambre.
Non.
Les mots me brûlent la gorge avant même que je puisse les retenir.
— Non !
Ma propre voix me surprend.
Il se fige, se tourne lentement vers moi, les sourcils froncés.
OK. Qu'est-ce qui t'a pris, Lysiane ? T'es complètement débile.
Un silence gênant s'étire entre nous.
Il se tient là, torse nu, son jogging gris négligemment posé sur ses hanches.
La chambre est plongée dans l'obscurité, seules les lumières tamisées de la rue filtrent à travers les rideaux.
Il attend une explication.
Et moi, comme une conne, j'en ai aucune.
— Je...
Réfléchis, réfléchis. Vite.
— J'ai fait un cauchemar.
OK, zéro crédibilité.
Je sens mes joues chauffer sous l'embarras.
— Un cauchemar ? répète-t-il, sceptique.
— Ouais...
Son regard perçant me scanne, cherchant à déceler le mensonge évident dans mon excuse moisie.
— Qu'est-ce qui s'est passé ? demande-t-il enfin.
Je fronce les sourcils, feignant une réflexion intense.
Puis, d'un ton dramatique :
— Eh bien... j'étais dans un endroit très bruyant. Beaucoup de... sons bizarres.
Ses yeux se plissent légèrement. Il sait.
Mais je continue.
— Puis, j'ai senti mon corps se soulever... Comme si je flottais dans l'air.
J'accompagne mes mots de grands gestes ridicules, mimant l'élévation avec mes mains.
Il reste impassible.
Bon. Autant finir en beauté.
— Et ensuite... la gravité m'a attirée vers le bas, et j'ai commencé à tomber. Dans un trou sans fin. C'était... terrifiant.
Je pose une main théâtrale sur ma poitrine, prenant un air dramatique.
Il ne bouge pas d'un cil.
— Donc... commence-t-il lentement, comme tu viens de le dire, il y a du bruit au salon, puis-
— Dors avec moi.
Les mots s'échappent avant même que je les réalise.
Il me fixe. Longuement.
Stupéfait.
Merde.
Je l'ai vraiment dit ?
Je toussote légèrement, tentant de garder contenance.
— Ou, tu sais... dis-je en faisant un vague geste. Tu peux aller chercher Catherine ?
— Bazooka.
Je lève les yeux au ciel.
— Peu importe son nom. Ramène-la-moi, elle me manque.
Réaction immédiate : un coussin en pleine figure.
Un rire m'échappe malgré moi alors qu'il quitte la chambre.
Quelques instants plus tard, il revient avec Catherine, que j'attrape immédiatement pour la couvrir de baisers.
— T'es trop belle ! murmurai-je en la serrant contre moi. Toi non plus, tu n'aimes pas qu'on t'appelle Bazooka, hein ?
Je lève les yeux vers l'abruti, un sourire moqueur aux lèvres.
Il reste impassible.
Toujours cette foutue cigarette coincée entre ses lèvres.
Il referme la porte, avance jusqu'au lit, puis...
— Pousse-toi. Je dors toujours de ce côté.
Je soupire, exagérément agacée.
— Quel honneur, vraiment.
Mais je me décale quand même.
Il s'allonge à mes côtés, un pied posé sur le matelas, les mains derrière la tête, le regard perdu dans le plafond.
Le silence s'installe.
Pas pesant. Juste là.
Finalement, je ferme les yeux, une main posée sur le pelage chaud de Catherine.
— T'écrases pas trop, hein.
Il ne répond pas.
Mais dans l'obscurité, je devine son infime rictus.
— À cause de toi, cette chambre empeste la fumée, me plaignis-je en fronçant le nez.
— Correction : cette chambre est la mienne. J'y fais ce que je veux.
Il ne daigne même pas me regarder.
— Et dors, sinon je ramène Bazooka au salon.
Je me redresse brusquement.
— C'est Catherine ! protestai-je, outrée.
Il n'a pas la moindre réaction, comme si je venais de parler à un mur. À la place, il attrape son téléphone sur la commode et se plonge dedans. L'écran illumine son visage d'une lueur bleutée, accentuant ses traits sévères.
Charmant.
Le silence s'installe. Je m'apprête à lui tourner le dos quand il lâche soudainement :
— Cassie t'a aussi envoyé les photos ?
Je fronce les sourcils.
— Lesquelles ?
— Celles de la soirée pyjama.
Un léger sourire en coin se dessine sur ses lèvres alors qu'il fixe toujours son écran.
Je roule des yeux.
— Ouais.
Je n'ai pas le temps d'ajouter quoi que ce soit qu'il me regarde enfin, son sourire s'étirant.
Oh non.
— Quoi ?
— Rien.
Il se remet à scroller, puis, après une courte pause :
— T'as pas été invitée.
Et il éclate de rire. Un rire sincère.
Il est sérieux, là ?
Je serre les dents, exaspérée.
— On ne m'a pas invitée parce que l'organisatrice et moi ne nous entendons pas, répliquai-je sèchement, me tournant dos à lui. Voilà pourquoi.
— Tu ne t'entends avec presque personne, de toute façon.
Son ton est neutre, presque indifférent, mais je perçois la pique.
Je préfère l'ignorer.
À la place, j'attire Catherine contre moi et ferme les yeux, essayant de retrouver le sommeil.
Le silence s'étire à nouveau, et je me crois enfin tranquille.
Mais alors, il murmure, d'une voix plus basse :
— Désolé.
Je rouvre les yeux, surprise par le changement soudain de ton.
Désolé ?
Je me redresse légèrement.
Il évite mon regard, fixant un point invisible devant lui.
— Désolé pour tout ce que je t'ai dit et fait après la soirée de Winnie-Slow. J'aurais pas dû.
Sa voix est posée, presque fatiguée.
— C'est juste que... la façon dont t'avais interrompu le moment. C'était tellement brusque, et je savais pas comment réagir.
Il lâche un léger rire amer.
— J'ai été un vrai con.
Je reste muette.
J'aurais dû dire quelque chose, n'importe quoi. Mais je ne m'attendais pas à ça.
Il prend une inspiration, puis ajoute :
— Et encore désolé de t'avoir menti à propos du violeur.
Cette fois, je sursaute légèrement.
Il continue, le regard toujours ailleurs :
— C'était pas cool. T'as eu raison de me traiter de tel.
Un silence pesant s'installe.
J'inspire profondément, puis me tourne enfin vers lui. Nos regards se croisent, et sans trop savoir pourquoi, un sourire se dessine sur mes lèvres.
— Tu n'es pas un violeur.
Il soutient mon regard, puis hausse un sourcil.
— Si à tes yeux, je le suis, alors c'est vrai.
Je fronce les sourcils.
— T'es idiot ou quoi ?
Il esquisse un sourire en coin, mais son regard est grave.
— Je t'effraie.
Ça sonne plus comme une constatation que comme une question.
— Je ne veux pas...
Il s'interrompt, cherchant visiblement ses mots.
— Hé, murmurai-je fermement.
Il tourne la tête vers moi.
Je plonge mon regard dans le sien, déterminée :
— Tu n'es pas un violeur.
Je marque une pause, puis ajoute d'un ton plus léger :
— Et j'accepte tes excuses.
Il m'observe un instant, puis un sourire minuscule, presque imperceptible qui effleure ses lèvres.
— Ce n'est pas faux, t'as exagéré. Un peu.
J'arque un sourcil.
— Un peu ?
Il rit doucement.
— Le passé est à broyer, dis-je en haussant les épaules.
Il me regarde, puis éclate franchement de rire.
— Je crois plutôt le contraire, mais bon. Il secoue la tête. Obéissons à mademoiselle Lysiane.
Un petit rire m'échappe. Ce n'est pas vraiment drôle, mais pourtant...
Je me détends un peu.
Puis, je lâche, presque distraitement :
— Aussi... ce n'est pas que ça m'avait déplu.
Il fronce les sourcils.
— Hein ?
Je m'appuie sur un coude.
— J'avais vraiment aimé. Mais... c'est juste qu'un truc que j'essayais d'effacer de ma mémoire est revenu à ce moment-là.
Il reste immobile.
— C'est ça qui m'a énervé.
Je passe une main dans ses cheveux, l'air agacée.
— Et même si ce n'était pas une raison valable, ben... je m'énerve contre toi.
Son regard plonge dans le mien.
— On a tous les deux été fautifs.
Je cligne des yeux, incapable de répondre immédiatement.
Il lâche un soupir, puis ajoute, plus bas :
— Mais ouais. Ça fait mal quand tu réalises que t'es le seul à avoir aimé un moment de plaisir à deux.
Sa voix est plus rauque. Son regard aussi.
Je sens mes joues chauffer légèrement.
Et puis, d'un ton nonchalant :
— D'ailleurs, ton corps m'attire. Tu le sais ?
— Beurk, riai-je pour dissimuler mon malaise. On dirait entendre Maxence parler.
Son sourire disparaît aussitôt.
Il se redresse, attrape son téléphone et se replonge dedans avec une froideur soudaine.
Oups.
— Quoi ? lançai-je, incertaine.
Aucune réponse.
Je plisse les yeux.
— Attends... dis-je en le fixant, cherchant à comprendre. T'es vexé ?
Il tapote l'écran sans lever les yeux.
Donc oui.
Un soupir m'échappe.
J'aurais peut-être dû m'excuser, mais... pas maintenant.
L'ambiance est déjà assez étrange.
Après un long silence, il brise enfin la glace :
— Pourquoi t'as teint tes cheveux en noir ?
Je me raidis légèrement.
— Comment tu sais ?
Il hausse un sourcil, visiblement amusé par ma réaction.
— Je le sais, c'est tout.
— Luna te l'a dit ? Ou Cassie ? Maxence ?
— Personne.
Je l'observe, méfiante.
Il ne peut pas le savoir.
Je tente un coup de bluff :
— Quand je décolorerai mes cheveux, tu verras mes longs cheveux blonds.
Il éclate de rire.
Un rire si fort qu'il manque de s'étouffer.
Je fronce les sourcils.
— Qu'est-ce qui est drôle ?
— Toi.
Il se redresse, toujours hilare.
— Écoute, petite brunette, le blond n'est pas une couleur si enviable.
Je me tourne dos à lui, mes joues brûlant de gêne.
Il connaît ma couleur naturelle.
Quelqu'un lui en a parlé.
Qui ?
Je serre les dents.
— Bonne nuit, murmurai-je pour clore la conversation.
Avant que ça ne devienne encore plus bizarre.
— ♠ —
Je suis tirée de mon sommeil par une sensation douce et chatouilleuse contre mon visage. Catherine. La traîtresse. Elle a apparemment décidé que mon nez était un excellent grattoir matinal.
Je grogne en ouvrant un œil. La lumière du matin filtre à travers les rideaux, mais ce n'est pas une lumière douce et chaleureuse. C'est une lueur froide, pâle, presque spectrale, qui baigne la pièce dans une ambiance de fin du monde poétique. Le ciel, visible entre les interstices des rideaux, est d'un gris acier, menaçant, et les arbres dénudés se tordent sous le vent automnal. L'odeur de pluie et de terre humide s'insinue dans la chambre à travers une fenêtre entrouverte. C'est magnifique. Tragique. Parfaitement dramatique.
Catherine ronronne, indifférente à mon admiration silencieuse du désastre naturel qu'est novembre. Je passe une main dans son pelage, profitant de sa chaleur.
— Comment t'es arrivée ici, toi ? murmurai-je, la voix encore pâteuse.
Elle répond par un miaulement satisfait, comme si j'étais censée comprendre.
Puis, la réalisation me frappe.
J'ai dormi dans son lit.
Je me redresse lentement, mon regard balayant la pièce vide. L'abruti a disparu. Je soupire.
— Évidemment.
Je prends Catherine dans mes bras et me lève, marchant pieds nus sur le parquet froid. L'appartement est silencieux, à l'exception de bruits de vaisselle provenant du salon.
Il est déjà debout.
Je m'avance dans le couloir et découvre la scène : il est là, debout dans la cuisine, en train de faire la vaisselle. Une cigarette pend mollement au coin de ses lèvres, la fumée s'élevant en volutes paresseuses. Son dos est légèrement voûté, la lumière froide du matin dessinant des ombres dures sur ses traits.
Il ne prend même pas la peine de se retourner avant de lâcher :
— T'es réveillée.
— Non, je suis en pleine expérience de somnambulisme avancé.
Il esquisse un sourire sans lever les yeux.
— T'as raté les cours.
— Oh non, quelle tragédie. Moi qui rêvais tant de mathématiques à huit heures du matin.
Il hausse les épaules, indifférent.
— Un jour de moins, c'est pas la fin du monde. Surtout pour une élève aussi pathétique que toi.
Je lève les yeux au ciel.
— Tu veux un trophée pour ton analyse ou c'est juste de l'entraînement ?
Il ne répond pas, concentré sur une assiette qu'il nettoie avec une lenteur exaspérante.
Je dépose Catherine sur le comptoir, où elle miaule avec insistance pour exiger plus de caresses. Automatiquement, je lui gratte le menton, trouvant un certain réconfort dans la simplicité de ce geste.
— T'as des nouvelles de Cassie ?
Il s'arrête un instant, les mains toujours dans l'eau savonneuse.
— Elle est passée vers cinq heures du matin.
Je fronce les sourcils.
— Pourquoi ?
— Elle avait ses trucs rouges et voulait pas déranger les autres, là-bas.
Un silence.
— Sympa. Et pourquoi vous ne m'avez pas réveillée ? demandai-je, sentant une pointe d'agacement poindre.
Il hausse les épaules, comme si ma question était idiote.
— Tu dormais.
— Waouh. Incroyable. C'est donc ça qu'on fait la nuit ? Fascinant.
Il continue comme si je n'avais rien dit :
— Et puis, la métisse était là aussi. Allison, je crois.
Je pince l'arête de mon nez, à bout.
— Addi. Addison. Félicitations, t'as massacré un prénom simple.
Un sourire furtif passe sur ses lèvres avant qu'il ne se détourne pour rincer une tasse. Il ouvre ensuite un placard, sort un bol et verse du lait dedans. Sans un mot, il le dépose devant Catherine, qui se jette dessus avec un enthousiasme indécent.
Je l'observe en silence, puis soupire.
— T'es toujours aussi sociable au réveil ou c'est juste ton charme naturel ?
Il tire sur sa cigarette, lève brièvement les yeux vers moi.
— Tu veux vraiment connaître la réponse ?
— Non, en fait, garde ton mystère, ça t'évite d'avoir à admettre que t'as un caractère de porte de prison.
Il rit doucement.
La fumée s'élève dans l'air, se mêlant à la lueur glaciale du matin. Et pendant une seconde, dans ce silence ponctué du bruit de l'eau et du frottement de l'éponge, je me surprends à apprécier l'instant.
— On sort aujourd'hui, Catherine.
Sa voix résonne dans l'appartement silencieux, et je cligne des yeux, encore engourdie par le sommeil. J'observe la scène : Tyler, adossé contre le comptoir de la cuisine, une cigarette coincée entre ses lèvres.
Je plisse les yeux.
— Tu l'as appelée comment ?
— Catherine.
Un silence.
— Toi, t'as appelé un chat « Catherine » ?
Il souffle une bouffée de fumée, impassible.
— Bah ouais. Puisque je m'occupe d'elle, c'est à sa mère de choisir son nom.
Je le fixe, incrédule. Mère ?
Puis, un large sourire s'étire sur mon visage.
— Ooooh. Alors, tu es le papa ?
Je le regarde du coin de l'œil, savourant d'avance sa réaction.
Il me jette un regard blasé, visiblement déjà lassé de ma connerie du matin.
— Non, je suis juste le responsable, pas son papa.
— Oh, donc un père absent. Classique.
Il lève les yeux au ciel et écrase sa cigarette dans un cendrier avant d'attraper une bouteille d'eau sur la table.
— T'as fini ?
— J'en sais rien, t'as d'autres trucs à révéler sur ta nouvelle paternité ? Un baby-shower en vue ? Une garde partagée ?
Il m'ignore royalement et tend la main vers Catherine, qui bondit sur le comptoir pour frotter sa tête contre ses doigts. Traîtresse.
Je caresse distraitement le petit félin tout en l'observant. Il joue les détachés, mais il est déjà accro à cette boule de poils. Ça se voit dans la façon dont il la grattouille exactement là où elle adore, derrière l'oreille et au cou, dans la manière dont il s'assure qu'elle ait toujours son bol rempli. Mais bien sûr, il n'est que « responsable ».
Le silence s'installe, et alors que je commence enfin à apprécier ce rare moment de calme, monsieur vient tout gâcher.
— Je t'ai laissé des vêtements sur le lit. On sort.
Je hausse un sourcil.
— Sortir ? Genre, dans le monde extérieur ? Avec toi ?
— Non, avec ton chat. T'es un dommage collatéral.
Je roule des yeux.
— Charmant. Et on va où, au juste ?
— Petit-déj', vétérinaire, animalerie, puis j'ai un entraînement de basket. Je te déposerais au lycée.
— Wow. Quelle organisation. Et si je refuse ?
Il hausse les épaules et s'éloigne déjà vers le couloir.
— Alors je pars avec Catherine et tu ne la revois plus jamais.
Je tourne immédiatement la tête vers la concernée, qui me regarde avec innocence en se léchant une patte. Petite ingrate, si tu veux me trahir, fais-le au moins avec un minimum de culpabilité.
Je pousse un soupir dramatique.
— T'as de la chance que j'aime cette bestiole.
— C'est ce que je me dis à chaque fois que je te supporte.
Je lui lance un regard noir alors qu'il disparaît dans le couloir. Catherine saute sur mes genoux, ronronnant, et je gratifie son petit crâne d'un baiser.
— Il est insupportable, pas vrai ?
Elle ronronne plus fort.
— Ouais, je sais. T'es amoureuse, toi.

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