Chapitre 14

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- Alors comme ça, tu souris au petit déjeuner ? C'est nouveau, dis donc !

- Oh ... Euh ... La joie de bientôt avoir vingt ans et de fêter ça avec vous, balbutié-je.

Mais mes amis ne sont pas dupes. Je suis de bonne humeur depuis hier soir, lorsque nous sommes revenus dormir. Alors que je débarrasse la table avec Cara, mon amie me coince entre le mur et le lave-vaisselle, un nouvel appareil sorti il y a quelques mois. 

- Il y a eu une addition ? demande-t-elle.

Je ris légèrement, songeant à une discussion dans le dortoir au Bureau.

- Christina ma posé la même question avec le même jeu de mots débile il y a trois an et demi. 

- Et donc ?

Je lui lance un regard lourd de sens. Manquant de faire tomber son assiette, elle la pose et porte une main à sa bouche.

- Où ? Comment ? C'était ...

- Tais-toi ! sifflé-je en jetant un regard paniqué autour de nous.

- Je le crois pas ! Deux Pète-Sec, avant moi !

- Cara, baisse d'un ton, la réprimandé-je.

Elle me prend la main et me tire derrière elle, jusqu'à sa chambre. Elle ferme la porte, et nous nous asseyons sur le lit. 

- Alors ? Raconte-moi tout.

- Ca ne va pas ?! Je ne vais pas ...

- Il n'y a que nous ici. S'il te plaît, Six ...

Voir Cara se comporter comme une adolescente en manque de potins m'amuse. Mais je sais qu'elle ne me demande ça que pour se faire une idée de ce qui lui arrivera. Et aussi parce qu'elle se fait une joie de me mettre mal à l'aise.

- Boooooooon ... Euh ... Qu'est-ce que tu veux savoir, en fait ?

- Tout !

- Tout sur quoi ? intervient une voix.

Christina sort de la salle de bain adjacente, vêtue d'un pull blanc et d'une jupe violette. Ses cheveux sont joliment regroupés dans une tresse inversée. Christina n'a jamais été féminine avant, mais ça lui va vraiment bien.

- Wouah ... Tu dragues, Chris ?

- Peut-être, répond-elle malicieusement en enroulant sa tresse autour de son doigt tandis que je me promets de m'inviter à son travail pour voir celui qui retient son attention. Et, tout sur quoi ? répète-t-elle.

- Sur l'addition de Quatre et Six.

Le sourire de Christina s'efface un instant pour être remplacé par un autre, éclatant.

- Vraiment ?

Sa voix est étrange. Prudemment, j'interroge :

- Chris ? Tu es sûre que ça va ?

- Je suis ... surprise. Mais oui. Raconte-nous tout. 

- Les filles ... C'est vraiment très malaisant.

- Allez ! insiste Cara. Au moins ... Comment en êtes-vous venus à ça ?

Je soupire, et prends la paroles avec peu de conviction, résignée à avoir la plus grande honte de toute ma vie.

***

Lorsque je rentre chez Tobias, il n'y a qu'Evelyn. Alors que je m'apprête à repartir, elle m'interpelle :

- Beatrice ! Je ... Enfin ... Ton amie Christina est passé avant d'aller travailler, et m'a demandé de te remettre ceci. 

Elle me tend une grande enveloppe marron.

- Merci. Et ... C'est Six.

Sur ces mots, je tourne les talons. L'air frais m'emplit les poumons. Que peut bien vouloir Chris ? J'ai un très mauvais pressentiment. J'ouvre l'enveloppe. Dedans, un mot et des photos. Je prends d'abord la lettre. Et je commence à étouffer.

    Tris, ou plutôt, Six, 

    Je sais que ça ne doit pas être facile pour toi de revenir et de me voir aussi distante, et ça me fait mal, crois-moi. Mais ... Du temps s'était écoulé. Ne t'en fais pas, nos liens sont encore intact, tu es ma meilleure amie. Mais c'est justement pour ça que je ne peux pas continuer à mentir et à te cacher les choses.

Tu sais qu'après la mort de Will, j'ai décidé de ne plus aimer, de ne plus m'attacher à personne. Je m'y suis efforcée, aussi bien avec Uriah dans nos moments de proximité qu'avec Quatre lors de notre rapprochement durant ta "mort". Au moment où je vous ai su de nouveau ensemble, plus fusionnels que jamais, j'ai quand même ressenti quelque chose. Je suis désolée, je n'en ai pas le droit, je ne voulais pas ... mais après notre rapprochement ... notre relation avait évolué. 

J'essaie de ne pas voir de sous-entendus sur cette dernière phrase.

Je t'offre quelques unes de nos photos, pour que tu puisses constater par toi-même, voir qu'il a été fort et que quoi qu'il en dise, j'ai réussi à le rendre heureux après ta mort. S'il te plaît, j'espère que tu comprends que ce soit dur pour moi. Je suis désolée.

                                          Christina.

Je sors de l'enveloppe des photos de Tobias, souriant, bras-dessus bras-dessous avec ma meilleure amie. Il est beau, bien habillé, et elle en robe de soirée. Sur l'une des images, elle lui embrasse la joue et le visage de Tobias est coupé dans la hauteur, partant de son nez. Mais son œil droit pétille. Où étaient-ils ? Qu'ont-ils fait là-bas ? Quand ?

Petit-a-petit, ma vue se trouble et la douleur me prend. Ma respiration devient sifflante, et mes larmes s'écrasent au sol après avoir roulé sur les belles photos qui restent intactes. Je jette l'enveloppe et son contenu dans la pelouse des Eaton, parce que je me suis arrêté de lire devant leur ancienne maison, puis je cours. Je cours aussi loin que possible, à m'en faire mal.

Arrivée dans une ruelle déserte, je ralentis. Je pose mes paumes contre un mur, bras tendus, le regard rivé au sol. Je m'essuie les yeux du poignet. Mes poumons me brûlent, mais ma douleur ne diminue pas. Alors je recommence à courir, et je manque de rater le train. Ma destination est trouvée : je vais à la Grande Roue.

Plantée devant, je suis prête à l'escalader, à faire grimper en flèche mon taux d'adrénaline pour faire abstraction de cette douleur. Mais je me rappelle. Je me rappelle du souffle saccadé de Tobias derrière moi, de sa main sur ma peau nue, de sa voix dans mon oreille et de son visage près du mien. 

Alors je crie. Je crie de douleur, de tristesse, de déception ,de rage et de désespoir. Je frappe le métal à m'en donner des hématomes, pour me concentrer sur une autre douleur que celle qui m'étouffe. Je frappe, toujours plus vite, toujours plus fort, jusqu'à ce qu'une présence s'impose derrière moi. 

- Tris.

- Je m'appelle Six ! hurlé-je, tremblante de rage et d'un centaine d'émotions avec.

- Six. 

- Va-t'en. 

Il ne bouge pas. Je me retourne, et le gifle, plus fort que dans le paysage des peurs, si fort que je me fais mal et que mon poignet craque légèrement. Il me fixe, la joue écarlate, je regard impassible, mais je sais que les mots qui suivent le blessent encore plus :

- Dégage, Quatre. Dégage.

Il hoche doucement la tête et me tourne le dos, tandis que les pleurs me secouent à nouveau.

Le dernier sérumOù les histoires vivent. Découvrez maintenant