Chapitre 2 / Résultat

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Arrivant à leur hauteur, l'espion tendit la main et son chef lui passa à son tour la plaque victime des ravages du temps et de l'usure. Lui-même fut soudainement secoué du même rire que son partenaire, le ton rauque en moins, une intonation beaucoup plus joyeuse mais assez déconnectée.
— Ahaha, je reste impressionné de voir qu'elles auront durée aussi longtemps. Enfin, il ne faut pas non plus s'étonner que Khaled soit aussi à cheval en ce qui concerne le matériel, ces derniers temps. Après les derniers échecs qu'on a essuyé pour se ravitailler en termes d'armures, il est clair que nous allons devoir faire en sorte que l'ensemble du Concilium soit un peu plus tendre avec son équipement, attesta-t-il avec un hochement de tête. Néanmoins, nous reviendrons sur ce petit laïus un peu plus tard, et avec l'ensemble des recrues. Pour l'instant, revenons à nos moutons, et passons en revue ta performance sur ton épreuve finale de parcours du combattant.
Puis, se raclant un petit peu la gorge, se raidissant soudainement, il se tourna vers le jeune garçon, effectua un signe de salut militaire, prononça clairement et distinctement :
— Jeune recrue aspirante, Hagest Ouraya... Garde-à-vous !
Le jeune homme, qui était resté silencieux dès l'arrivée de l'individu masqué, se redressa, le dos droit, jambes droites, initiant effectivement un garde-à-vous, malgré le fait que l'eau continuait de perler de ses cheveux bruns courts et tombait devant ses yeux.
— Repos, jeune Ouraya, tonna l'homme au masque.

Laissant ses bras quitter le long de son corps, il rajusta une dernière fois son écharpe autour de son cou avant de conclure sa posture militaire au repos en gardant les mains derrière lui, la main gauche contre le dos, et la main droite dans la paume de l'autre main. Le visage légèrement relevé, une expression de sérieux ayant pris place, il fixa les responsables de son évaluation en attendant leurs avis. Une nervosité commençait cependant à poindre à l'intérieur de son estomac. Un faible rire émergea non loin. Il l'ignora.
— Bien, prit la parole l'homme à la voix rauque qui se positionna devant lui. Cet examen a été supervisé par le Général Carter, conjointement avec le Colonel Runaway, en date du vingt-sept marcessos trois mille quatorze. Inutile de rappeler que d'autres collaborateurs ont également officié en temps que témoins oculaire et juges de chacune de tes actions lors de ton parcours. L'objectif était de t'évaluer, toi, la jeune recrue aspirante Hagest Ouraya, afin de confirmer ton aptitude et ta volonté à intégrer l'armée du Concilium Manus Inferorum. Après avoir subis les différents examens physiques, psychologiques et médicaux basiques, énonça-t-il en gardant un ton qui affichait un sérieux incontestable, la jeune recrue a été testée sur ses compétences dans le maniement d'armes à feu, des tests de réflexions portant aussi bien sur la morale que la philosophie et d'autres tests écrits permettant d'établir une base de son intellect. Il va sans dire que le dernier examen physique, ayant eut lieu aujourd'hui, a démontré une légère faille, ajouta Carter en cassant le masque du sérieux tout en pouffant légèrement de rire.
Le rire fut aussi repris par Runaway qui ne parvenait plus à garder contenance. Face à cette réaction assez vexante, le visage du jeune Hagest se renfrogna légèrement, toujours agacé par cette minuscule erreur sur un parcours aussi irréprochable qu'exemplaire, mais il n'émit aucune déclaration. En aucun cas il n'avait envie de leur donner cette satisfaction. Il entendit un autre rire, celui de tout à l'heure, plus sombre, et essaya de passer outre : ses autres examens étaient impeccables, rien d'autre ne pouvait lui être reproché.
— Cependant, reprit Carter en esquissant un léger clin d'œil, il convient de préciser que cette petite erreur est dû à une modification exceptionnelle du parcours. Néanmoins, poursuivit-il en reprenant un ton consciencieux, Hagest ce n'était pas simplement une petite blague. Là est le point important que je vais voulu te souligner à travers cette variation, c'est que vous ne devez jamais vous reposer sur vos acquis. Connaître le parcours et ses limites physiques, c'est très bien, mais savoir anticiper les éventuels dangers reste l'étape supérieure. Tu auras beau avoir étudié et retenu les dangers probables de ta mission pendant une semaine, le jour J tu auras toujours une complication, un événement aléatoire qui peut fausser le résultat.
— D'autant que l'adaptation semble être dans tes cordes, ajouta Runaway en s'époussetant à nouveau son uniforme. Face à moi, tu n'as pas été gourmand, c'est très bien. Combien de tes camarades ont voulu tenter leurs chances à croire que je ne serais pas assez réactif pour une éventuelle contre-attaque après une mise à terre aussi enfantine ? Toi, tu as préféré jouer la sécurité et t'acquitter de ta mission. Bon, il se peut qu'en situation réelle ton poursuivant tente vraiment de te rattraper, mais là tu as fait preuve de jugeote alors que tu étais déjà légèrement épuisé physiquement. Quoiqu'il en soit, et en parallèle de ce que Carter t'incite à comprendre, ne néglige jamais ton environnement. N'oublie pas que nous vivons dans un monde où la Fléria n'est pas notre seule préoccupation lorsque nous partons en mission. Les animaux, créatures mystiques, et mutants sont tout aussi imprévisibles et même plus dangereux que les troufions de la brigade de Ksaaj.

L'adolescent opina du chef, sans pour autant relâcher sa pose, maugréant toujours dans sa barbe.
Il se sentait encore blessé dans sa fierté, aussi minime et stupide l'erreur fut-elle. Tant de temps consacré à l'étude de ce parcours, tant de temps consacré à un entraînement physique et mentale, à établir virtuellement les positions des éventuelles pièges et toutes ses théories avaient balayés à l'aide d'une bonne baignade parce qu'il n'avait pas songé un seul instant que l'eau pouvait cacher un potentiel ennemi mortel.
Runaway décela l'amertume qui rongeait le garçon. Avec un faible sourire, il se dirigea vers lui, posa une main sur sa tête et ébouriffa ses cheveux dans un geste paternel et rassurant.
— Tu n'es pas le premier ni le dernier à te faire avoir par un piège de Carter. Il n'y a rien d'éliminatoire là-dedans, seulement une petite leçon supplémentaire. Allons, après ce bain forcé, ose me dire que tu ne seras pas plus vigilant lorsque tu longeras une rivière ? Si ça peut te consoler, Xarias s'est laissé avoir également. Pas un seul candidat n'a échappé à un piège de Carter. Une manière comme une autre pour que vous ne vous reposiez pas que sur vos acquis. Personne n'est à l'abri d'une éventuelle erreur de calcul et redoubler d'attention permettra de t'éviter de prendre une balle au pire, au mieux un bain.
En réponse, Hagest lâcha un long soupir avant de finalement hocher la tête en signe de résignation :
— Mouais, j'étais persuadé qu'il me barrerait la route sur terre, à l'arrivée. Pour le reste, je suis certains de ne rien avoir à me reprocher.
Carter sourit en entendant cela, et poursuivit l'évaluation :
— Dans l'ensemble, on peut le dire, oui : ton parcours a été impeccable, on ne va pas te priver de ce point. Le passage avec Runaway est assez éloquent. Ajoutons à cela tes résultats en combat, sans compter ton originalité : je ne connais personne utilisant de telles armes.
Avec une pointe de fierté, la jeune recrue sortit de la besace qu'il portait en bandoulière ses armes: une paire de lames de tailles moyennes, qui lorgnaient presque sur le modèle des dagues traditionnelles employées par des voleurs. Leur particularité était qu'elles n'avaient pas de poignée verticale mais horizontale, permettant à leur utilisateur de les tenir la même manière qu'une paire de griffes et de porter des coups d'estocs dévastateurs.
— Des katars, répondit Hagest avec un large sourire satisfait. Pendant les deux dernières années, j'ai effectué bons nombres de recherches et de test à l'aide de Xarias, Khaled et Lydia afin de trouver un style de combat me correspondant. En terme d'armes au corps à corps, j'ai longuement hésité avec des dagues.
— Une bonne vieille épée, ou une lance ne te convenaient pas, en plus de tes pistolets ?
— J'essaye d'être versatile, se justifia-t-il avec un haussement d'épaules. Et je n'aurais probablement pas le luxe de trouver des munitions sur place à chaque mission, je souhaitais vraiment avoir une autre alternative assez durable. Puis Xarias, malgré ses propres compétences, est particulièrement fan de l'épée. Je ne veux pas le copier. En ce qui concerne la lance, j'ai peur de ne jamais pouvoir égaler le niveau de Runaway. Je voulais vraiment trouver un style unique et original.
Illustrant ses propos, il empoigna ses katars avant de se mettre dans un simulacre de posture de combat. Il effectua quelques brefs mouvements avec, essentiellement pour se dégourdir les membres un peu refroidis par la leçon de natation. Il poursuivit son explication :
— Puis, en fouillant les archives relatives aux anciens membres de la Garde Républicaine, plus exactement les premiers après l'unification de Novsgerath, je suis tombé sur la biographie de Bénèz Falk'ui, originaire des terres orientales. Apparemment ses armes, qu'il ne quittait jamais, étaient couramment utilisés au sein de sa famille et la tradition s'est perdue avec lui, puisqu'il n'a jamais eu de descendant. Cependant, il avait rédigé un impressionnant mémoire sur ses années de service ainsi que sur son style de combat. J'm'en inspire. En me calquant sur le modèle de katars originel, Khaled m'a fournis un équipement en tout point similaire, à titre d'entraînement, avant d'éventuellement enchaîner sur une version définitive.
Enfin, il conclut sa démonstration en croisant ses lames devant son visage, avant de les retirer pour les ranger de nouveau dans sa besace.
— Tu n'es pas le premier qui a cherché à puiser de l'aide en bouquinant les archives des Gardes, précisa Runaway, mais néanmoins je dois dire que je ne pensais pas que tu serais aussi studieux au point de faire un tel travail de recherche et d'expérimentation pour t'octroyer un style unique au sein du CMI. Quelles sont tes conclusions, suite à tes tests ?
— Le poids n'est pas un problème, d'autant que notre scientifique de génie m'a certifié qu'il peut rendre le tout beaucoup plus léger, en plus d'y apporter diverses améliorations de son cru. Se déplacer avec n'est pas aussi handicapant que je l'aurais cru et la largeur des lames me permettent d'avoir une meilleure garde en cas d'attaque frontale, et l'entièreté de la force de mes bras me permet d'autant plus d'occasionner des dégâts que des dagues.
— Et si l'on ajoute également tes compétences naturelles amplifiées par un très vieil ami, je peux t'affirmer que ce style de combat, en plus d'être aussi original que ce jeune homme, sera particulièrement dévastateur et idéal aussi bien dans l'infiltration que dans une offensive de front, acheva une voix d'outre-tombe avec un léger ricanement.

Entendre une telle voix ne fit nullement sursauter les trois personnes présentes. Au contraire, deux d'entre-elles surenchérirent avec un autre rire, ce qui plongea la troisième personne dans une énième bouderie suivi d'un soupir d'exaspération :
— Mouais, merci également à Castel' d'être présent afin de m'offrir ce style unique en son genre. Des armes anciennes et des pouvoirs démoniaques. Assez cliché, mais bon... Je suis certain qu'on n'est pas prêt de revoir ça d'ici mille ans, assura Hagest en se grattant nerveusement l'arrière du crâne.
— Bien, reprit Carter en achevant de rire, finissons-en avec cette évaluation. Un autre examen t'attends et je pense que les chargés du centre d'entraînement vont fermer le parcours pour la matinée. En définitif, je suis fier du travail que tu as fournis ces derniers mois, en plus de tes nouvelles trouvailles. Additionnons au passage les rapports des autres sections avec lesquels tu as participé au cours de quelques missions, je suis content de voir que tu t'es bien intégré au sein du corps armée du CMI. Ton seul bémol demeure juste ton impulsivité, mais c'est le lot commun à bon nombres de recrues.
Curieusement, cette remarque-ci ne semblant pas faire mouche. Cela dit, Hagest devait le reconnaître : qu'il fut capable de savoir à quel moment il était bon de se mettre hors de danger, il a également l'agacement habitude de vouloir agir de son propre chef. En soi, le CMI avait toujours eu son lot de recrues avec un début de syndrome du héros. Cependant, peu d'entre eux pouvait se vanter de pouvoir compter sur l'aide d'un Innomé.

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