1 / Connor

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Le soir tombe enfin et c'est épuisé que je ferme la boutique. Cette fois, pas de clients qui flânent dans les rayons, personne qui cherche un renseignement, je peux clore cette journée aussi rapidement qu'elle a commencé.

Je vise ma montre pour me rendre compte que je vais être à la bourre si je ne me presse pas. Spencer va m'attendre et je sais qu'il déteste ça. C'est un enfant avec du caractère, il me fait penser à moi quand j'étais môme.

Je m'empresse de vérifier la caisse du jour, de planquer l'argent liquide et de tout verrouiller pour longer la promenade et retrouver mon jeune ami au pub du coin. Quand je pénètre dans l'établissement, une bouffée d'air chaud me surprend ainsi que l'odeur des hamburgers et des frites. Mon estomac crie famine et je réalise que je n'ai rien avalé depuis le matin.

Pas étonnant, que je crève la dalle !

— Hé, Connor !

Spencer m'a repéré et agite sa main afin que je m'approche de la table qu'il occupe avec sa mère.

— Salut, champion ! clamé-je en m'installant tout en tapant le poing qu'il me présente.

Je dépose un baiser sur la joue de Rebecca et m'assois.

— Désolé, je suis un peu en retard, m'excusé-je en consultant la carte.

J'ignore pourquoi j'y jette un œil alors qu'il est certain que mon repas sera un burger. Je la referme aussi vite que je l'ai ouverte et m'intéresse à mon jeune protégé.

— Tu as eu les résultats de ton devoir de maths ?

Vu la grimace qui barre son visage, je comprends aisément que sa note ne doit pas être fameuse.

— Je suis nul en maths, s'exclame Spencer. Mais j'ai quand même eu un « B ».

— Mais c'est génial !

Je lui tends mon poing et il frappe dedans.

— Félicitations, tu vois quand tu veux. J'espère que maintenant tu fourniras des efforts dans toutes les matières. Tu es intelligent, Spencer, ne laisse jamais personne te dire le contraire.

— C'est aussi ce que je n'arrête pas de lui répéter, intervient sa mère. Il avait hâte de découvrir ta réaction.

Son fils me regarde avec des étoiles plein les yeux, je me suis sincèrement attaché à ce môme qui ne devait être au départ qu'un moyen de réparer mes erreurs. Quand je me suis inscrit comme bénévole au centre d'aide pour enfant, je ne pensais pas avoir un coup de cœur pour un gamin.

Il s'avère que c'est le cas, Spencer est un gosse qui n'a pas eu de chance dans sa vie et qui essaie comme il peut de s'en sortir avec le soutien de sa mère. Heureusement pour lui, elle a réagi à temps en adhérant au programme de la ville. Port Charlotte a encore cette envie d'aider des enfants en échec scolaire ou en perdition avec des parents absents. Spencer lui a une mère présente, mais avec deux jobs afin de boucler ses fins de mois dignement, elle ne peut pas être partout et veiller à ce que son fils ne fasse pas de bêtise.

— Tiens, voilà dix dollars. Je crois qu'il y a un nouveau jeu dans la salle, lui indiqué-je avec un clin d'œil.

Sans se faire prier, Spencer déguerpit heureux et plus exalté que jamais.

— Merci d'être aussi gentil avec lui. Tu n'es pas obligé.

— Je sais, mais ça me fait plaisir, expliqué-je à Rebecca. J'ai eu la chance d'avoir un père présent et aimant, je voudrais que Spencer connaisse la même chose.

Je réalise la portée de mes paroles et avant que je ne puisse rétorquer, Rebecca intervient.

— J'ai compris, ne panique pas, s'amuse-t-elle. Même si l'on passe de bons moments tous les deux, nous n'en sommes encore pas là.

Cette femme est assurément la plus facile et la plus compréhensive que je connaisse, quoique ma belle-sœur tient bien la corde aussi. Rebecca est aimante sans être étouffante, ferme sans être autoritaire ou castratrice et surtout elle n'attend rien de plus que ce que je suis prêt à lui donner.

C'est à dire quelques heures par-ci par-là, sans engagements et sans promesses. Et j'ai l'impression que cela nous convient. J'ai conscience que nous n'aurions jamais dû dépasser le stade d'une bonne entente, voire d'une amitié, mais de fil en aiguille, de discussions en confession, nous avons cédé.

— OK, rigolé-je à mon tour.

Le silence s'installe et j'ai bien du mal à me détendre. J'ignore la raison de cette soudaine tension et j'essaie de me convaincre que cela n'a rien à voir avec ma bourde et mes pensées exprimées trop vite.

— Je...

Nous prenons la parole en même temps, ce qui a le don de nous faire rire et de finalement détendre l'atmosphère.

— Je suis sérieuse, Connor, j'ai compris et même si les moments qu'on passe ensemble sont géniaux, je n'attends rien de toi. Nous avons tous les deux des casseroles à traîner et pour être honnête jusqu'au bout, je ne me sens pas de taille à avoir une relation établie. Alors, déstresse.

Je reste scotché de cette petite tirade. Habituellement, ce sont les hommes qui tiennent ce genre de discours.

— Ç'a au moins le mérite d'être clair, pouffé-je. OK, je me détends, mais pour information : j'adore aussi nos moments en tête à tête.

Rebecca rougit et baisse la tête, je fonds devant son air gêné et sans réfléchir plus longtemps je me penche au-dessus de la table pour l'embrasser furtivement.

— T'es craquante quand tu rougis, ne puis-je m'empêcher de la taquiner.

Elle me donne une tape sur le bras et je reprends ma place, la conversation glisse sur un autre sujet, Spencer nous rejoint et nous dégustons notre repas dans la bonne humeur.

****

Les jours suivants se passent sur le même tempo, à la différence que je n'ai pas passé de temps avec Rebecca et Spencer. L'inventaire de la boutique approche et quand bien même j'essaie d'être organisé le plus possible, je suis loin d'égaler ma belle-sœur.

Quand elle a quitté Port charlotte avec mon frère afin de voir du pays, c'est naturellement qu'elle m'a proposé de la remplacer à la boutique. Elle avait mis tellement de cœur à la création de son entreprise qu'elle ne désirait pas la voir péricliter ou fermer. À l'époque, j'étais encore dans mon trip « je me cherche » enfin pas tout à fait, mais disons que je ne savais pas vraiment où j'allais et ce que je voulais faire de ma vie.

Prendre la boutique en main m'a aidé à y voir plus clair et je sais à présent que j'ai la fibre commerciale. Le chiffre d'affaires du magasin n'a pas baissé depuis ma reprise et même s'il n'a pas progressé de beaucoup, je note quand même son évolution.

Cet emploi et la confiance qu'a placée Joy en moi m'ont aussi prouvé que je pouvais faire quelque chose de mes dix doigts. Et honnêtement, ce n'était pas gagné.

— Connor, tu vas devoir être plus organisé à l'avenir si tu ne veux pas essuyer les foudres de Joy, soupiré-je en pénétrant dans la réserve que je n'ai pas rangée depuis la semaine dernière. Un cochon n'y retrouverait pas ses petits.

Je reste quelque seconde à sonder la pièce avant de me décider à commencer par un côté. De toute façon, tout va devoir être trié. Je me motive et m'apprête à m'y mettre quand la sonnette de la boutique retentit m'indiquant l'arrivée d'un client.

Comme à mon habitude, je peste en traversant le couloir et me prépare à servir le sourire le plus hypocrite qui soit, quand je reconnais la personne qui m'a dérangé.

— Mais qu'est-ce que tu fais là ?

Connor's LaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant