Mon couloir

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Je viens d'une famille fantôme.
Une famille où les couloirs sont remplis de fantômes du passé et non d'amour. Une famille où il n'est pas autorisé de ressentir autre chose que l'instinct de survie et de la paranoïa.
Je viens d'une étrange famille. Mon père n'est pas un père et ma mère n'est pas une mère non plus. Mon amour, je l'ai vu fleurir dans les yeux de mon frère, et lui seul. Je parle du vrai amour, celui qui vous coule dans votre corps, celui qui ne s'effacera jamais, celui qui vous donne une raison d'être en vie.
Je viens d'une famille effrayante. Le salon n'a jamais été plus triste qu'à noël et plus vivant qu'à halloween. C'est peut-être un sentiment enfantin, mais je ne me suis jamais sentie à l'aise à noel. C'était peut-être par jalousie, (pourquoi les autres enfants avaient hâte et pas moi ? Pourquoi nous ne sommes jamais en famille à noël si c'est fait pour ça ?) puis par la suite c'était surtout un sentiment « il manque quelque chose ». C'était Noël et je n'avais qu'une envie c'était d'accélérer le temps, que ça passe et vite, que l'on ne s'éternise pas sur ce mensonge pour que l'on puisse ranger ces stupides guirlandes dans le grenier et les oublier. Parce que noël n'a jamais été noël. Noël était un panneau aveuglant et trop bruyant sur lequel était écrit « vous n'êtes autorisé pour cette fête, vous n'avez rien à célébrer ».

C'était Noël et je me demandais pourquoi ma mère n'est pas une mère. C'était noël et la maison était vide. C'était noël et on n'avait rien à célébrer.
Ce sentiment, je l'ai vu être marqué sur mon coeur l'année où j'ai préparé noël à l'hôpital, je me souviens de m'être sentie plus en sécurité que dans ma propre maison.
Je viens d'une famille brisée.
Il n'y a rien que l'on puisse faire à part attendre. Attendre que les années passent. Et que les blessures et les injures se fanent. Attendre qu'une certaine distance se mette en place entre nous et ces couloirs. Attendre que la haine jaunisse et finisse par disparaître. Attendre juste quelques années, pour y voir plus clair, pour que les souvenirs ne soient plus aussi sanglants.
Attendre que le mot noël ne sonne plus comme alcool, attendre que le mot alcool ne sonne plus comme une maladie. Attendre que les fantômes de nos couloirs décident de s'en aller. Attendre que la vérité devienne indolore.
Et on attendra dix ans pour se retrouver, en espérant que l'amertume de cet enfer qui s'est ouvert dans notre maison ne soit plus collée à nos joues.
Ma famille est un néant.
Alors j'attendrai. J'attendrai jusqu'à ne plus y penser. J'attendrai jusqu'à ce je puisse célébrer Noël sans me sentir comme une fraude dans ma cuisine.

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