J'admire les personnes capables de s'asseoir et de converser avec des inconnus, comme avec les chauffeurs de bus. Je trouve ça apaisant. Comme si c'était un signe ; la vie est belle et les humains sont beaux. Cependant je n'ai jamais su le faire. Je n'ai jamais su parler de manière si légère à de simples inconnus, je n'ai jamais été le genre d'élève à rester à la fin du cours pour discuter avec les professeurs, peu importe l'affection que j'ai pu leur porter, ou combien même j'en avais envie. Parfois besoin. Non, au lieu de ça, je me suis toujours contentée d'être polie, de ne jamais m'étendre sur ma présence, un simple sourire était suffisant pour améliorer une journée entière, parfois une semaine. J'ai toujours admiré les autres vivre, comme si j'étais reconnaissante qu'ils vivent à ma place. Comme si ils le faisaient pour moi quand je n'avais pas la motivation ni la force de faire semblant d'aimer de vivre. J'ai toujours eu du mal à trouver du plaisir à être présente dans ma propre vie. Ou à être présente pour les autres. Je me suis toujours interdite d'être trop proche de quiconque; qu'est-ce que je ferais si une vague revient me couler, et qu'elle me rend détestable ? Qu'est ce que la personne penserait alors de moi ? Et si je ne parviens pas à rester constante ? J'ai toujours préféré décevoir les autres que les laisser me comprendre j'imagine. C'est moins douloureux d'une certaine manière. En réalité, parfois j'ai toujours du mal à vivre tout court. Même après tout ce temps. Alors je me contente des autres. Ça me rappelle que tout n'est pas si terrible que ça, que c'est seulement une vague et qu'elle finira forcément par me laisser tranquille.
Comment on explique à quelqu'un qu'on a plus tendance à être malheureux que heureux de vivre ?Que pour tenir nous nous devons de ramasser quelques moments, quelques sourires, promesses, étreintes, souvenirs, et de les garder en tête aussi violemment que l'on puisse pour trouver des raisons d'être heureux pendant quelque temps, mais que ce n'est jamais suffisant ? Que nous avons beau être aimés, entourés, nous avons beau avoir le cœur qui déborde de joie et de reconnaissance, des raisons de vivre à foison, notre propre nature nous trahira forcément à un moment donné. Nous aimons la vie et ce qu'elle nous donne, mais elle ne sera jamais assez pour être une raison de vivre à elle seule. Comment on explique ça à quelqu'un ?
J'adore vivre, et les plusieurs dizaines de raisons de vivre que je me suis fabriquée au fil des années, je sais qu'elles sont fragiles autant qu'elles sont précieuses. Vivre à un goût différent quand nous devons nous battre pour simplement aimer exister, quand nous sommes notre propre orage.