Prologue

418 21 5
                                    


Jay

Je me souviens encore de ses yeux, les deux perles grises. C'étaient ces yeux qui nous avaient tous sauvés. Perrera, Travis, Don, moi... Personne d'autre qu'un Campbell ne peut avoir ces yeux-là. Je me souviens surtout de la supplication qui les a traversés, ce soir-là. Et du dernier clignement de paupières qu'ils ont eu, juste avant que j'appuie sur la gâchette. Ensuite, je me souviens de leurs visages à eux. Les patrons, et leur sbire de Sudiste venu pour l'occasion. Je me souviens de leur peur. Lui était même un peu fier. Impressionné, je crois. Et je me souviens par-dessus tout avoir attendu qu'ils partent, pour pleurer.

C'était la dernière fois de ma vie que je versais des larmes.

J'ai laissé le corps là-bas. Je n'avais pas le cœur à m'en débarrasser comme pour n'importe quel autre. J'ai pensé que quelqu'un qui l'aurait vraiment aimé allait le trouver, et qu'il aurait droit à des funérailles véritables.

Je me souviens avoir regardé la carte, sur lui, et me dire : « Ça y est. C'est toi. Tu as le pouvoir. Du sang, des yeux gris qui ne s'ouvriront plus jamais, le froid et la solitude. Voilà ta couronne ». J'ai pensé que c'était cher payé. J'ai pensé que c'était triste, de regarder notre père à tous dans cette position de victime, gisant dans son propre sang, un trou dans son cerveau si brillant.

Et puis je me souviens m'en être allé.

Je crois que c'est là que je me suis arrêté de ressentir quoi que ce soit. En franchissant la porte de sa maison de banlieue, sous le ciel noir, le vent s'engouffrant sous mon pull, ma gorge comprimée par la tristesse. C'est là, précisément, que je me suis éteint. J'étais loin, alors, d'imaginer ce qu'il adviendrait. Loin de penser qu'on me rallumerait un jour, et que ça viendrait spécifiquement de lui. Que sa descendance irait m'attaquer au cœur et au corps, tout au fond de l'âme, pour m'obliger à ressentir de nouveau. Comme si son fantôme était revenu pour m'assurer que la vie continuait.

C'était ça. Le chemin du retour, seul, la nuit, le froid, le vent... J'ai marché tête baissée, sur la route de mon royaume. Chacun de mes pas était précédé de son ombre.

Oui. C'est la dernière fois que j'ai pleuré de ma vie.

Jusqu'à aujourd'hui.

Inside MAC, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant