I. Vingt-quatre heures de la vie d'une Ombre

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Quatre mois plus tôt...

Don


Je ne crois pas à la vie après l'amour.

Je suis convaincue qu'une partie de notre âme meurt lorsqu'on subit la déchirure d'un cœur brisé, et persuadée aussi que cette part, définitivement, ne nous reviendra plus. Si bien que, quelle que soit l'issue de la fin de vie, on nous aura amputé de ça, et ni enfer ni paradis ne nous accueillera plus.

C'est terminé, nous sommes incomplets. Pour la vie, comme pour la mort.

Je ne me réparerai jamais, et ce n'est pas très grave. Le sentir encore, comme un membre fantôme, me suffit malheureusement. Il n'a plus rien à me donner. Je n'ai pas d'espoir spécialement, je me contente de sa présence, je me contente de la confiance qu'il m'accorde. Tant qu'il m'accorde encore quelque chose.

Je n'ai même pas de souffrance à l'ego. Je crois qu'il était légitime pour moi, dans les circonstances de notre rencontre, de l'avoir aimé jusqu'au point de non-retour. Et je ne suis pas désolée de l'aimer encore, ou d'être condamnée à l'aimer toujours. C'est ainsi, c'est ma route à moi. Je ne m'en plains pas. Seulement, parfois, la souffrance me revient, plus virulente et plus vive. Comme une réminiscence. Oui, parfois, c'est tout comme s'il venait de me quitter. Comme si j'étais à la seconde d'après son discours et que je revivais, sans le temps qui aurait apaisé depuis, l'exacte même douleur de son départ.

Mais ce ne sont que des vagues, et elles repartent se noyer en moi, de plus en plus vite.

C'est ce que je ressens, aujourd'hui, précisément. Il est tellement contrarié que je rêverais de le réconforter, à ma manière. J'ai encore au creux de l'oreille le son de son souffle lorsqu'il se fait saccadé ; quand il me l'offrait, j'étais alors le point central du monde. Je n'existais plus que pour le satisfaire.

Lui. James Léopold McKenzy.

Je n'y ai plus droit. Et c'est une déchirure qui n'a pas de fin.

Jay fait les cent pas dans le bureau tandis que le haut-parleur du téléphone continue son appel ; tout ici sent encore l'ancien MAC. Du cigare au feutre des fauteuils, des vieux livres au cuir qui les recouvre, jusqu'au bois d'ébène qui constitue les étagères... Il est encore un peu là.

On décroche enfin de l'autre côté du fil. Jay appuie deux mains puissantes sur les bords du bureau et fixe le haut-parleur comme si c'était l'interlocuteur lui-même : c'est-à-dire avec haine. Il n'a pas le temps de le saluer – je ne suis pas certaine qu'il l'aurait fait de toute façon –, la voix métallique, doucereuse, perverse d'Alisthair s'élève pour déclarer :

— Ce n'étaient pas nos gars, Jay.

Les belles mâchoires de Jay se contractent immédiatement, de dégoût comme de méfiance. Il fixe le combiné pour rétorquer :

— Tu te fous de moi avec de moins en moins d'efforts, c'est insultant.

— Mais je t'assure..., grésille la voix du monstre. On les a virés il y a deux mois, ils ont voulu revenir avec un cadeau... On n'y est pour rien.

Jay se détache du bureau de bois brut pour se remettre à marcher ; il joue avec la lame d'un coupe-papier sous ses ongles. Il a les yeux brûlants mais le pas calme, presque trop lent. C'est le Jay sur le point de tuer.

Je le connais jusqu'au bout de chaque terminaison nerveuse.

— Et les deux attaques d'avant non plus, vous n'y êtes pour rien ? grince-t-il, la voix contenue par la colère.

Inside MAC, tome IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant