10- Sur la plage seule

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Alors, elle s'est promenée un peu dans la ville aprés le repas, aprés le baiser sur la joue qu'il a tenté de lui déposer, mais ses pas l'ont vite ramenée à la plage. Tout est là : sa vie, la rumeur de ses sentiments dans la mer et dans le vol des mouettes, la tempête de ses souvenirs intacts.

Elle s'avance jusqu'au bord de l'eau qui lui léche les chaussures. Elle observe l'horizon dans lequel elle voudrait s'enfuir, se rendre invisible au delà de ce manteau au large. Puis, assez vite, elle se déchausse et enfonce ses pieds nus dans l'eau glacée. C'est ici, que tout s'est arrété. Ici, dans le même vent, dans la même eau. Ici, que tout à commencé, sur le même banc, devant les mêmes planches.
C'est bien ici son premier souvenir, comme le début de sa vie. Tous ce qu'il y a avant cette histoire, elle ne s'en souvient pas. Les souvenirs de l'enfance se mélangent un peu dans sa tête, ils se chevauchent sans repère temporel ou chronologique. Elle se souvient qu'elle est née ici, à l'âge de douze ans peut-être.

Sa mère lui as mis une gifle. C'était avant ou aprés le drame ? Les pieds dans l'eau, marchant lentement tout droit devant elle, Madeleine ne s'en souvient plus vraiment.
Cependant, le souvenir est bien net, bien précis. Sa mère l'avait prise dans ses bras, trés fort. Elle s'en voulait terriblement d'avoir giflée Madeleine. Elle avait pleuré en s'excusant, en l'embrassant fortement jusqu'au point de l'étouffer contre elle.
Madeleine avait regardé sa mère stupéfaite et effrayée par son comportement. Elle n'était plus qu'une poupée de chiffon dans les bras de sa torsionnaire, la joue rougie et enflammée.
Son père l'avait emmenée par la main jusqu'au marchand de glace peandant que sa mère retrouvait son calme sur le sable, devant les touristes médusés par cette mère se jetant violemment sur sa fille.
- Il ne faut plus aller au bord de l'eau toute seule, ma chèrie. Je sais que tu es assez, grande pour y aller seule et je sais que tu comprends. Je sais que tu comprends que maman a eu très peur pour toi.

Son père avait eu une voix douce et rassurante. Son sourire l'avait réconforté. Elle ne voulait pas les décevoir, elle le savait qu'elle n'avait plus le droit d'approcher le bord de l'eau seule mais cela a été plus fort qu'elle, elle souhaitait juste plonger ses pieds pour se rafraîchir.
A leur retour, sa mère s'était endormie. Ils ont jeté sa sa glace dans la poubelle.

Cette pensée lui évoque encore le parfum de sa mère aprés la gifle. Elle avait le parfum de la folie. C'était la première fois qu'elle l'avait sentie. Une douce transpiration amère et âcre qui se glisse dans le nez. Elle ne savait pas vraiment ce que c'était ce jour-là. Ce n'était pas la transpiration sucrée causée par la chaleur du soleil. Non, c'était en dessous de ça, le parfum de la rage, gênante. Une odeur terrifiante de la folie.
Madeleine le sait aujourd'hui.
Elle a souvent cru que s'était à cause d'elle que sa mère a fini ses jours, suicidée, dans une maison de repos, sombrant totalement dans la dépression, et la folie. C'est venu, peu à peu, aprés gifle, elle en est certaine. Aprés le drame et la gifle.
Elle a commencé à ne plus sortir de la maison puis de son lit, mangeant de moins en moins, pleurant toutes les rivères de son corps avant que le père de Madeleine dût prendre une décision. Elle revenait de l'école.

- Maman n'est pas dans sa chambre.
- Elle est où, je veux la voir.
- Elle est allée se reposer dans un centre pour les personnes comme elle.
- Elle revient quand ?
- Ca va prendre un peu de temps ma chèric, mais elle reviendra en forme.
- Je peux aller la voir.
- Non, pas tout de suite. Laisse lui du temps. Des personnes vont s'occuper d'elle.

Sa mère, cette femme qu'elle a toujours vue comme une idole, grande, douce, aux cheveux noirs brillants, belle, s'était transformée en ombre étrange et bleme. Madeleine ne reconnaissait plus sa mère. Ce n'était plus sa mère.
Son père, jusqu'à la fin de sa vie, est resté amoureux.
Rien n'était plus beau que cet amour pour sa femme. Il s'est battu pour qu'elle revienne, passant tout son temps auprés d'elle, dans cet hôpital, dans cette chambre  blanche et froide, l'aidant comme il a pu. Mais, pour elle, il n'y avait plus que sa douleur.
Il a vècu seul pour sa femme déchirée. Il a aimé éperduement pour deux.

Elle parle seule, au bord de l'eau :
- Te souviens-tu des châteaux de sable ?

- Nous irons au Cures Marines, dit-il derrière elle.
- Aux Cures Marines ? Mais, c'est hors de prix !
- Nous sommes hors de nos vies aujourd'hui. Nous verrons bien demain.

Il s'est promené de son côté. Il a respiré et soufflé . Il manque d'air parfois auprès d'elle. Elle l'étouffe. Son comportement est pesant, lourd ressentant presque une nausée. Il voudrait fuire loin de tout, loin d'elle mais, il l'aime tellement s'avoue t-il. Il ne peut rien faire d'autre qu'être près d'elle, même si la douleur est forte. Il a regardé la ville, les maisons tout autour sans ressentir cette chape de plomb qui l'asphyxie.
Alors, quand il a aperçu Les Cures Marines devant lui, ce bâtiment blanc, magestueux, il s'est dit que peut-être, elle serait surprise, enfin, et que l'endroit leur donnerait la possibilité de communiquer un peu, de se retrouver, de faire l'amour peut-être.

Emmène-moi à Trouville Où les histoires vivent. Découvrez maintenant