6- Aujourd'hui

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- Emmène-moi, dit-elle.
- Où veux-tu aller ?
- Vite, tout de suite, sors-moi de cette ville. Emmène-moi à Trouville.
- À Trouville ?
- Oui, je veux voir les mouettes rieuses de Trouville, posées sur le port. Je veux voir les bâteaux qui rentrent de leur pêche.

Elle est assise sur ce canapé, affalée encore, toujours la même. Elle s'ennuie. Le soleil de la fin de l'été frappe au travers de la grande fenêtre.

Cette histoire est là, aussi, affalée sur les pages. Cette histoire est sans doute victime d'elle-même, victime de l'ennui de cette femme qu'elle raconte. Elle est difficile à écrire. Elle est difficile à décrire. Cette femme est inerte et elle laisse couler le temps sur elle et cet homme est silencieux. Je ne sais pas s'ils me donneront assez de force pour leur donner de la hauteur, aussi haut que ces falaises de Normandie. Mais, je dois écrire.

Elle regarde le payasage qui change. Les immeubles imondes laissent leur place en faveur des maisons au toit de chaume. Elle lève la tête sur le pont de Normandie, grand, long, superbe, indomptable. Elle a le vertige.
Pour aller à Trouville, ils ont traversé le pont des Belges, au dessus de la Touques. Ils se garent prés du Casino. Il est blanc, beau, magnifique. Comme cette ville, cette haute ville.

Madeleine reconnaît, un peu, cette ville. Louis ne sait pas qu'elle y a vêcuc, il y a longtemps. C'était une gamine. C'est comme si, elle revoyait cette amie qu'elle avait perdue de vue depuis des années. Elles ont changé toutes les deux et pourtant c'est les mêmes.

A peine la voiture arrêtée et garée sur le parking, elle ouvre vite la portière et sort. Dehors, il y a beaucoup de vent.
Il la soulève, la pénètre, là. Elle n'est pas surprise. Elle se souvient du vent.
Ce qu'elle veut, tout de suite, c'est la mer. Il s'y dirige rapidement sans attendre Louis. Puis, devant elle, elle est, là, belle et cruelle. Elle sait que c'est entre elles deux seulement. C'est leur combat.
Mais, pour le moment, ce qu'elle veut c'est respirer sans penser à son ennui. Elle ressent juste la fraîcheur de leur instant. Elle considère chaque seconde comme existante que par elle-même. Il n'y a plus la seconde d'avant et il n'y a pas la seconde d'après. Il n'y a rien d'autre que cette seconde, présente, vivante, unique.
Elle contemple ce qu'elle n'a pas encore vu. Elle ferme les paupières. Elle a vue sur le payasage qui lui paraît encore si loin. C'est le soleil rouge qui se couche lentement le long de la ligne d'horizon. Elle y est, comme dans le temps d'avant. Elle est debout, droite, bien droite. Elle est immobile. Et, elle se présente à nouveau à elle, à la mer.

Aprés un moment, elle s'est assise. Au loin, Madeleine voit cet homme qui joue au cerf-volant avec un jeune garçon qui est sans doute son fils. L'homme porte un short court en jean et un sweat à capuche qu'il a relevée sur la tête. Le garçonnet est vêtu d'un pantalon bleu marine et d'un ciré jaune. Ils ont l'air de s'amuser courant sur la plage. Enfin, l'homme, principalement, à l'air de s'amuser. Le fils est plûtôt en retrait. Le père ne partage pas la manette du cerf-volant avec son fils. Est-ce parce qu'il a peur que le gamin ne le fasse s'envoler maladroitement ou parce que l'enfant qu'il était revient avec nostalgie dans sa mèmoire.
Le fils, vaincu, observe, ainsi son père les mains dans les poches avec cette expression particulière de questionnement, les lèvres pincées, qu'ont les enfants. Il regarde avec envie ce cerf-volant qui se gonfle de vent.
Il y a un vide profond en elle quand elle les observe.
Madeleine, tout autour, a oublié l'existence de Louis, quand enfin il la rejoint.
- Tu aurais pu m'attendre.
- Non, elle m'attendait.
- Qui ?
- La mer.

Emmène-moi à Trouville Où les histoires vivent. Découvrez maintenant