Chapitre 46 - Confessions tardives

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"Un jour de septembre 1942, alors que nous venions de récupérer des armes lors d'un parachutage, nous sommes tombés sur une patrouille allemande à un kilomètre du manoir et Jean Berton a été touché lors d'une fusillade. Avec les camarades, nous l'avons ramené et mis à l'abri dans une grotte qui donnait sur un des souterrains de Beaumanoir. Touché dans le dos, il est mort très rapidement de ses blessures. Les Allemands se rapprochant dangereusement, nous avons dû fuir encore. Nous avons porté Jean jusqu'à mon domicile, puis tout le monde s'est dispersé. Je l'ai enterré dans le parc, de nuit, avec l'aide de Justin, au pied d'un chêne centenaire. 

A partir de ce jour, le réseau fut démantelé et nous nous sommes dispersés. Je suis alors parti rejoindre celui du Havre, spécialiste dans les sabotages en tous genres. C'est alors que j'y ai retrouvé par hasard Hélène qui transportait des messages pour ce réseau. Un jour, je l'ai suivie sans qu'elle ne s'en aperçoive et je l'ai vue par la fenêtre, avec ses parents, et un adorable petit garçon blond aux taches de rousseur qui ressemblait comme un frère à mes propres fils. J'ai eu un choc et j'ai compris tout de suite qu'il  était mon fils et pourquoi elle était partie si brusquement six ans auparavant.

Je suis donc entré dans l'épicerie qu'ils tenaient et Hélène m'a tout de suite reconnu. Elle a simplement dit à ses parents : « je vous présente un camarade ». Ses parents n'ont pas posé de questions, connaissant vaguement les activités clandestines de leur fille et ne voulant pas s'en mêler.

Une fois sortis tous les deux, elle ma pris à part et m'a dit : « l'enfant que tu as vu est notre fils, je lui ai donné ton troisième prénom, Gilbert. Mais pour lui, tu ne seras que son parrain, ce sera mieux pour tout le monde. Etant donné le milieu d'où tu viens, il vaut mieux que personne ne connaisse la vérité. Elle m'a fait alors jurer de ne jamais la révéler, et je regrette aujourd'hui de lui avoir obéi.

Michel Aurilly était mon nom de résistant, Michel étant mon deuxième prénom et Aurilly, le nom francisé de O'Reilly, celui de mon arrière-grand-mère d'origine irlandaise. C'était une idée que mon cousin Daniel O'Reilly m'avait suggérée. C'est sous ce nom que je me suis ensuite présenté aux parents d'Hélène. Ils ont vite compris que j'étais le père de Gilbert, et, conformément au souhait de leur fille, ils ne lui ont jamais révélé sa filiation. Nous avons tous convenu que je serais son parrain, et un cousin éloigné.

Quand c'était possible, j'allais voir Hélène et mon petit Gilbert entre deux missions. C'était à chaque fois de merveilleux moments. Jusqu'à ce jour de fin août 1944 où j'ai appris par les résistants avec lesquels j'étais en relation que les alliés bombarderaient le site stratégique du Havre. Les résistants avaient tenté de prévenir le plus de personnes possible de cette attaque imminente afin que les habitants se mettent à l'abri. Cela a déclenché dans la population du Havre des mouvements de panique. Les routes étaient encombrées, et des bateaux surchargés tentaient de traverser l'estuaire pour se rendre à Honfleur. Malheureusement, beaucoup de personnes sont restées bloquées au Havre dont hélas, une partie de la famille d'Hélène et certains d'entre eux ont péri dans les bombardements.

Je suis donc allé chercher Hélène, Gilbert et ses grands-parents et les ai conduits en auto jusqu'à leur famille à Honfleur. J'ai bien fait car, deux jours après, le 5 septembre, un déluge de bombes alliées s'abattit sur la ville  pendant plusieurs jours et a fait plusieurs milliers de victimes. Je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi on avait visé des civils, alors que beaucoup d'Allemands s'étaient déjà enfuis. Enfin, ce n'est pas à moi de réécrire l'histoire.

J'ai eu très peu l'occasion de revoir Gilbert et sa famille depuis. En 1945 La guerre étant finie, j'ai repris ma vie auprès des miens. Cependant, j'ai toujours veillé à ce qu'Hélène et Gilbert ne manquent de rien financièrement. A la mort d'Hélène en 1953, j'ai payé les études de notre fils et l'ai envoyé dans un pensionnat, avec l'accord de ses grands-parents et ils ont accepté que je sois son tuteur, sans que celui-ci ne le sache. Il est devenu quelqu'un de bien, et j'ai été très fier d'apprendre qu'il avait réussi dans la voie qu'il avait choisie. J'ai même assisté, sans qu'il me voie, à la remise de son diplôme de l'Ecole Nationale de Police. Mon seul regret est de n'avoir pas pu le reconnaitre à la naissance.

Vendetta NormandeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant