4. Quelqu'un

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Pendant des siècles, Mû a parcouru la Galaxie pour le compte du Foyer. Ses créateurs semblaient faire l'inventaire des civilisations disparues et de ce qu'elles avaient laissé derrière elles. Le grand Atlas du bras d'Orion, tel que Morgane l'a reconstitué sur ses dires, n'est qu'une vaste litanie d'échecs. On y apprend toutes les façons desquelles une civilisation prend fin. On y découvre que l'humanité elle-même, sur sa Terre natale, n'a fait que reproduire un schéma d'extinction déjà répété plusieurs centaines de fois.

Je dois donc nommer cette seconde chance pour ce qu'elle est : une chance.

Nous aurions dû disparaître, comme tant d'autres qui ne sont plus que des entrées dans l'Atlas, pour la plupart de simples feuillets sans intérêt.

Mais même Mû, malgré toute sa puissance, ne nous a accordé qu'un sursis. Elle ne sait pas où nous allons. Elle ignore quelle sera notre prochaine erreur. Et c'est mon rôle de le découvrir. Nourrie de ce savoir millénaire, je suis la mieux à même de tracer le chemin qui permettra à l'humanité de survivre... quelques siècles de plus.

Journal de l'Archisade


Quand il reprit ses esprits, Rizal se rendit compte qu'il avait fait tomber son sabre. Il ôta son casque, alluma la lampe à cristal sur son épaule et pataugea dans l'eau boueuse une bonne minute à la recherche de Brise-muraille.

Il crut un instant que les Changeants le lui avaient subtilisé, mais un tintement de clochette retentit dans son dos. Il se retourna pour découvrir Vardia, elle aussi les pieds dans l'eau, qui portait dans ses mains deux cristaux de la taille de bâtonnets de poisson pané. Leur lueur bleu pâle illuminait son visage blême et teignait sa chevelure embrouillée en une sorte de vert des mauvais jours. Sa chemise en lin n'avait pris que quelques plis, comme si elle venait d'emprunter le tramway de Vlaardburg un jour de grève, mais ses bottines trempées étaient fichues.

La résonance sonore du cristal se communiqua au sabre, et Rizal vit sa lumière émerger parmi les rats-crapauds qui barbotaient entre deux eaux, gobant tous les champignons qui passaient à portée de leurs larges gueules dentues. Il le ramassa vivement, essuya la lame contre sa manche et le remit en place.

Sans un mot, le techno-Paladin s'éloigna du cadavre du champignon ; une centaine de noctureuils, suspendus par leurs grandes incisives, lui arrachaient de larges lambeaux blancs à pois rouges. Il alla s'asseoir sur la berge, dans le sable, et attendit que Vardia le rejoigne.

« Tu n'as rien ? » demanda-t-il enfin.

Elle fit non de la tête.

Le Processus bogué avait été abattu, mais le pire était à venir : un rapport au Paladinat dans lequel Rizal devrait faire le résumé de la nuit, d'une manière qui satisferait les Sysades du Château. C'était dans ces moments qu'ils vous tombaient sur le dos, discutaient des manquements à la procédure et finissaient par exprimer leur désapprobation sous la forme d'une plainte au Paladinat qui, après dix mois de traitement, finissait sur la pile.

Rizal ôta un de ses gants pour se gratter l'oreille, qui était pleine de sable. Avec sa barbe de trois jours, ses sourcils taillés en V et le pli installé au-dessus de son nez, il donnait toujours l'impression d'être de mauvaise humeur, même quand il ne mouillait pas ses bottes dans une rivière infestée de champignons à pointes. Mais ce défaut le rendait aussi plus mystérieux, aux dires de son ex-compagne ; les problèmes d'un homme comme Rizal, aux yeux d'un gris épais contrastant son teint cuivré, ne sont pas ceux des fripouilles ordinaires.

« Oh, par les Écailles... »

Vardia désigna d'un doigt hésitant quelque chose qui flottait à la surface de l'eau, et que les noctureuils en plein festin avaient négligé. Le techno-Paladin, qui commençait à peine à sécher, avança jusqu'à ce que l'eau lui arrive aux genoux, éclaboussant sur son passage quantité de Nattväsen. Il attrapa la tête sectionnée de Datu et la jeta en direction de la Sysade, qui émit un cri horrifié.

Le Silence de MûOù les histoires vivent. Découvrez maintenant