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Ce jour-là, ils étaient passés par une ville, avaient esquivé trois foules, s'étaient attardés dans un temple, avaient remballé dix moches, soigné deux lépreux, enseigné sous quatre arbres, et maintenant, ils étaient à un mariage.

Pierrot avait du mal à se dire que sa vie pouvait être aussi sociable dans sa tête, et qu'il pouvait aller à autant d'endroits en une seule journée.

En fait, il n'avait prêté attention qu'à très peu de choses de tout ce qui avait été dit ou fait ; l'affaire qui avait été conclue avec le père de Sharika le mettait tellement en joie que son cerveau ne pensait qu'à ça : à comment il ferait les détails, ce qui serait simplement en relief, ou sortant du cadre, les métaux qu'il prendrait pour faire un peu de différences dans les couleurs, les détails des feuilles des arbres... Que de choses à imaginer. Il avait tellement hâte de coucher toutes ses idées dans son carnet et de faire des essais.

Mais en pensant à tout ça, il ne regardait pas où il allait — il suivait le dos de Matthieu depuis à peu près dix minutes sans regarder ailleurs que ses pieds —, et lorsqu'il releva la tête, il remarqua que Jésus n'était plus avec eux.

« Il est où Jésus ? Demanda-t-il à la cantonade, craignant de devoir le retrouver dans la foule de gens autour d'eux — vu le monde, ces mariés devaient être populaires.

— Il est parti saluer les nouveaux époux et nous a dit de nous installer, répondit Judas, celui avec lequel Pierrot avait le moins d'affinités, en se retournant vers le groupe d'apôtres. Où se met-on ? »

Un vent de 'Bah je sais pas' balaya le petit groupe. Ça, pour prendre des décisions, ils n'étaient pas souvent champions.

« On peut aller se mettre là-bas, proposa Pierrot — il se transformait régulièrement en leader lorsque Jésus était absent — en orientant son bras vers un bout de la table, celui qui était le plus éloigné des mariés. Jésus appréciera sans doute de pouvoir parler aux pauvres pendant le repas. »

Pendant ses rêves où ils allaient manger chez des riches, Pierrot avait appris deux trucs. Déjà, aux repas de fête, tout se fait en une seule table, et les places ne sont pas à la demande mais par rang social. En bout de table numéro un, les riches, et en ordre décroissant jusqu'à l'autre bout de table, les pauvres.

Eux-mêmes n'étaient pas les plus riches de la brochette, s'il en croyait les vêtements des gens autour d'eux — Jésus et son groupe s'étaient bien habillés pour l'occasion, mais pas si richement que ça étant donné qu'ils n'avaient que très peu de bagages avec eux et pas trop de trucs chers.

« Pourtant, Jésus est au-dessus de tous ces gens, riposta Judas, qui aujourd'hui avait la langue plus déliée que d'accoutumée. Je suis d'avis que nous devrions plutôt nous mettre proche des mariés. »

Soit à l'autre bout de la table. Pierrot fut clairement réprobateur à cette idée, mais Jésus arriva par derrière lui — crise cardiaque — et parla au groupe de gens juste derrière les apôtres — pourtant, les disciples en prirent tout autant pour leur grade.

« Quand quelqu'un t'invite à des noces, ne va pas t'installer à la première place, de peur qu'il ait invité un autre plus considéré que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendra te dire : ''Cède-lui ta place'' ; et à ce moment, tu iras, plein de honte, prendre la dernière place. »

Pierrot s'imagina cette scène et en frissonna de gêne. Quelle horreur de se faire recaler comme ça.

« Au contraire, continua Jésus auprès des gens derrière eux, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t'a invité, il te dira : ''Mon ami, avance plus haut'', et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui seront à la table avec toi. En effet, Pierrot orienta son regard dans celui de Judas puis des autres apôtres pour clairement leur faire comprendre à qui cette parabole s'adressait, quiconque s'élève sera abaissé ; et qui s'abaisse sera élevé. »

Les apôtres eurent tous grosso-modo la même réaction ; se mordre les lèvres, avoir le regard fuyant, jouer avec ses pieds, faire genre de regarder ailleurs comme s'il y avait un endroit mieux à regarder qu'un autre, mettre ses mains derrière son dos et se balancer d'avant en arrière.

Pierrot ne pensait pas que Jésus sortirait un truc comme ça ; c'était logique, mais lui-même n'avait pas tellement dit d'aller à la dernière place pour la même raison. En tant qu'humain lambda, il s'était surtout dit qu'aller à la dernière place était plus logique, car il ne connaissait personne et qu'ils s'entendraient mieux avec les pauvres sans jugements qu'avec les riches snobinards. D'ailleurs, n'oublions pas qu'il avait l'habitude de se dévaloriser.

Néanmoins, il tenta de se rassurer en se disant que la philosophie de Jésus illustrait à peu près la même que la sienne ; se survaloriser, c'était toujours une idée de merde. Et pan dans les dents de Judas.

אבא

Lc 14, 7-11

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