Une définition sans mot

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Il y a ceux qui voient le verre à moitié plein, ceux qui voient le verre à moitié vide, et ceux qui n'aiment pas les métaphores. Sasha faisait partie de la dernière catégorie. Pour lui, l'image de ce verre n'avait aucun sens. Là, allongé sur son lit, il ruminait sur cette expression qu'on lui rabâchait à longueur de journée. La quantité de liquide à l'intérieur du verre importe peu, se disait-il, si on part du principe que c'est un verre de jus de chaussettes. Personne n'a jamais précisé ce qu'il contenait, peut-être que ceux qui le voyaient à moitié vide étaient les véritables optimistes.

Sasha était cette personne qui se remettait en question en permanence, cet ado trop philosophe, qui détournait toutes les phrases et voyait des sens cachés là où il n'y en avait jamais eu. Dans ses rêves, il rencontrait toujours les mêmes personnages qui venaient le sortir de ses tourments, démêler les fils de sa réflexion. Chaque nuit avait le droit à sa question, et cette nuit-là, Sasha repensa à ce couple qu'il avait vu dans le parc sur le chemin du retour. Ils avaient l'air heureux. Quelques minutes plus tard, il avait croisé une jeune femme, au bord des larmes, un téléphone à l'oreille, répétant déchirée : "Et tu me quittes comme ça ? J'ai fait quoi de mal ? J'ai fait quoi de mal ?". Elle n'avait vraiment pas l'air heureuse.

Sasha était donc venu à se poser cette question : À quoi ça sert l'amour ? Qu'est-ce que c'est véritablement l'amour ? Il aurait bien posé la question à quelqu'un, mais à part des "Bah c'est aimer", et des "T'en as encore beaucoup des questions pareilles ?", il n'aurait pas eu beaucoup de réponses. Cette nuit, c'était donc cette question qui venait le hanter. Des images de couples, de mains tenues, venaient se superposer avec celles de disputes, de tristesse, et lui au milieu de tout ça, s'enfonçait dans son rêve comme un homme devenu soudainement aveugle, complètement perdu.

Le premier personnage ne tarda pas à venir le voir, c'était un homme habillé comme au XVIIIe siècle, un carnet dans la main, un plume dans l'autre.

— L'amour, lui dit-il, c'est le sentiment du rêveur, le rythme que fait ton coeur, cette impression sans substance, cette sensation douce comme l'enfance. Cet imaginaire au paysage flou, cette odeur indescriptible au parfum fou, c'est celle qui vient essuyer tes larmes, celle qui te fait vaciller de par son charme. L'amour, c'est une personne si belle, si charmante, qu'elle agite les plumes les plus élégantes, un seul regard et l'inspiration nous vient, pour écrire sans réfléchir les plus beaux des quatrains.

— En voilà un qui a besoin de se mettre à jour, déclara un nouvel arrivant.

Il était accompagné de son sosie, au détail près qu'il portait une veste noire, et l'autre une veste blanche.

— L'amour ça apporte tellement de problèmes, reprit-il, les larmes, les cœurs brisés, ce sentiment d'être laid, ridicule, bon à rien, quand personne ne s'intéresse à toi. Franchement quand on voit tout ça, où est l'intérêt ? Quand on voit toutes les embrouilles que ça entraîne, les disputes, parfois violentes, que ça génère, à quoi bon ? Un bon sentiment, c'est pas censé gâcher la vie, si ? Moi, j'arrive pas vraiment à m'y retrouver, y a trop d'étiquettes pour un seul mot, trop de contraintes pour une seule relation, trop de gènes, de mal-êtres, de faux espoirs, d'hypocrisie, de sourires niais, de gloussements insupportables pour un seul sentiment.

— Mais quel rabat-joie, soupira son sosie, tu ne serais pas là sans amour je te rappelle. Pour moi, l'amour c'est une raison de vivre, pour certains c'est la seule chose qui leur donne envie de se lever le matin. Et puis l'amour, ça peut aussi être l'amitié, c'est juste un sentiment d'affection. Tu ressens même de l'amour envers ton chat, ou ton chien. Pour moi, c'est un sentiment essentiel. Ça peut sonner Bisounours, mais un monde sans amour c'est un monde sans vie, sans joie, sans volonté, sans but, ce serait un enfer. D'ailleurs je ne crois pas que ce monde soit possible. L'amour, c'est plus qu'un plaisir, ça nous est nécessaire.

Une adolescente entra alors, et écarta les deux sosies, sentant qu'une tension s'installait. Elle tapa quelque chose sur son téléphone puis lu à voix haute ce que l'écran afficha.

— "Sentiment vif qui pousse à aimer quelqu'un." , ça, c'est la définition que donne Google. Moi, je suis pas super bien placée pour t'aider, mais je peux te dire que l'amour, c'est une chose tellement complexe, qu'on pourrait tous essayer d'aligner autant de mots qu'on voudrait, dans n'importe quel ordre, on arriverait pas à en décrire une seule partie, de cet amour. Aujourd'hui l'amour, c'est le prétexte pour installer une gêne entre deux personnes, c'est aussi le combat de certains qui vont manifester dans la rue. Pour l'un, c'est la raison d'une dépression, pour l'autre, c'est la clé du bonheur. Chacun à sa définition, la mienne, ce serait "l'amour est un sentiment subjectif". Je pense que la réponse que tu cherches, c'est la définition que toi, tu lui donnes.

Sasha les regardait débattre sans un mot, ne sachant pas vraiment qui soutenir. Comme d'habitude, ils avaient tous raison. Qu'est-ce que c'était pour lui, l'amour ? Comment lui, il voyait ce sentiment ?

Finalement, il avait la même définition que tout le monde. Une définition sans mot, sans geste, sans musique pour l'exprimer. Il avait beau chercher, il n'arrivait jamais à l'expliquer parfaitement. Il se rendit compte que tout était là, dans ce manque de mot, de moyen, dans ce flou, cette chose abstraite qui restait identifiable malgré tout. On donne à l'amour la forme que l'on veut. Beaucoup voient un cœur rouge, mais comme Sasha, après réflexion, on voit tous un point d'interrogation.


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⏰ Dernière mise à jour : Feb 26 ⏰

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