Chapitre 4 : déjeuner avec Yoris

94 12 18
                                    

Comme le dit le dicton, faut jamais espérer le meilleur quand tu sais que le pire va arriver.

Autant Cyriel m'avait fait voyager dans les enseignes de luxe, autant là...

Je me retrouve littéralement au centre de distribution de nourriture pour les sans-abris de la ville. Un immense complexe pouvant accueillir 900 personnes, avec chambres individuelles, douches collectives et repas gratuits. Tous les jours de l'année.

Je ne comprends pas bien ce que je fous là. Je me demande même si je ne me suis pas trompé d'endroit.

Malheureusement, j'aperçois Yoris au loin, me faire signe de le rejoindre derrière ce qui semble un comptoir.

Il ne m'adresse pas un seul mot à part un « bonjour » très sommaire. Il se contente de servir des assiettes aux demandeurs. Pourtant, derrière son air fermé, il a l'air de prendre sa tâche très au sérieux.

Je l'imite, tant bien que mal, n'ayant reçu aucune indication sur les quantités à servir.

Malgré moi, je finis par perdre patience au bout d'un moment qui me sembla être une éternité.

— Bon et sinon, c'est quoi le plan ? Me faire rester debout pendant des heures ?

— Si ça ne vous plait pas, vous êtes libre de partir.

— Attends je crois que t'as pas très bien compris le principe, on était censés déjeuner ensemble, pas servir le déjeuner !

— Pour un avocat qui défend les malheureux, je vous trouve peu enclin à aider et excessivement de mauvaise foi.

— D'accord, on clash gratuitement, j'ai noté. Je suis peut-être de mauvaise foi mais moi, au moins, je pête pas plus haut que mon cul !

Et merde. J'ai tellement parlé fort que tous les sans-abris autour de nous me regarde comme si j'étais un fou sorti de l'asile. Ça ne me ressemble pas de m'énerver aussi vite. D'habitude il me faut un peu plus de temps que ça. Il m'agace lui aussi avec ses grands airs de monsieur je suis parfait ! Qu'est-ce que je lui trouve à lui pour l'instant ? Rien du tout !

Devant ma gêne absolument pas dissimulée, Yoris demande à d'autres personnes de prendre notre place. Il prend au passage deux assiettes mises de côté et m'entraine dehors.

— Au moins j'ai respecté les conditions de ce premier jour. On mange et il fait beau.

Ce type est lunaire. Complètement lunaire. Un petit mot d'excuse non ? Un truc pour briser la glace ?

— Vous êtes pas très doué socialement hein ? finis-je par lancer, non sans me traiter d'idiot mentalement.

— Ce n'est pas mon point fort en effet. Pourquoi me vouvoyez-vous maintenant ?

— Si vous le faites, je le fais, question de politesse dont j'ai grandement manqué jusqu'ici, je sais. Je suis désolé. C'est juste que vous ne m'avez rien expliqué, rien dit, alors je me suis senti...

— Invisible ?

Il jette un regard sur les gens autour de nous. La plupart sourient, ravis d'avoir un plat chaud et un café à déguster. Des petits riens qui semblent les faire s'illuminer, l'espace d'un instant.

— Vous voyez ces gens ? Ils sont invisibles pour la plupart d'entre nous. On passe à côté d'eux sans même leur accorder un regard ou un sourire. Et pourtant, ils ne désespèrent jamais, ne se plaignent jamais, et pire encore, ils ne blâment personne pour leur malheur. Je suis navré de vous avoir blessé, je n'aurais pas dû. Cet endroit me tient énormément à cœur et je voulais voir si cela vous touchait également.

— Oui, bien sûr que ça me touche. Je suis juste assez peu expressif de manière générale. On ne lit pas sur mon visage et je dis rarement ce que je pense. Déformation professionnelle. Avec le temps, on apprend à se dissimuler, pour se protéger mais aussi pour protéger ses clients. En tout cas, ce plat est vraiment savoureux et réconfortant.

— Merci, c'est une recette que j'ai donné aux cuisiniers du centre.

— Oh donc vous êtes cuisinier ?

J'arbore un grand sourire, fier de ma déduction pas si fine que ça mais bon. Au moins j'ai trouvé quelque chose de concret sur un des deux.

— Malheureusement, non. La cuisine est simplement une passion. A vous de trouver le reste, ça vous fera travailler un peu, en compensation de ce défi sournois.

Le bâtard. 

Néanmoins, je dois avouer que sa franchise et son manque de sociabilité ne m'ont pas tant déplu que ça. On a continué de servir au centre pendant encore quelques instants et j'ai pu discuter avec pas mal de sans-abris, qui étaient ravis de voir une nouvelle tête. Ce sont principalement des omégas abandonnés par leurs alphas suite à des fausses couches, à la mort de leur conjoint ou simplement en fuite face à des violences conjugales...

On a beau dire que le mythe des âmes sœurs est formidable et est une vraie bénédiction, je n'y crois pas. Les alphas sont des hommes comme les autres, capables du meilleur comme du pire. Tous les couples se valent. Il n'y a pas de couple parfait, juste deux personnes qui essaient de s'aimer et de se tolérer tant qu'ils le peuvent.

Beaucoup de gens ont accusés les médias de mentir sur la condition des omégas, prétextant qu'ils avaient la belle vie, des avantages, des « dons ». Il est inconcevable, encore aujourd'hui, d'imaginer que des omégas puissent être malheureux ou rejetés par leur partenaire.

Les endroits comme ce centre sont volontairement situés hors de portée des habitants. Cela a le don de me dégouter. A voir si je peux faire quelque chose au niveau juridique...

Le Pari (omegaverse BxB - en cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant