Elle reste là, lasse sur sa chaise, au fond de la petite chambre d'auberge. En face, proche du mur le plus éloigné, Laskar ne la quitte pas des yeux. Deux heures que la matinée a commencé et des dizaines d'heures qu'elle n'a pas prononcé un seul mot. Fidélianne est comme autre part, dans une autre dimension, assaillie par un autre bruit que celui de l'étrange ville. Laskar vient d'ouvrir les rideaux verts que les usines s'affolent déjà en arrière-plan. Le rythme cadencé de Hierro prend place dans un vacarme assourdissant, mais Fidélianne reste étrangère à tout ça. Les yeux presque blanc.
Elle tente de se reconnecter à elle-même, de s'entendre respirer jusque quelques secondes, mais rien ne se passe. Elle ne s'entend plus. Elle entend la respiration de l'homme en blanc. Il est déçu, il soupire. Elle conspire chez l'ennemi, d'après lui. Et tous ceux qui osent poser le regard sur elle l'exposent à une lumière éblouissante. Personne ne devrait savoir qui est Fidélianne. Elle gratte son avant bras, jusqu'au sang, elle a enfin atteint la chair. Alors le sang dégouline, de longs ruisseaux ont tâché ses draps. Elle gratte, de ses longs ongles pointus, griffus, pénétrant la peau avec dextérité. Horius doit changer son regard sur elle.
- Bon !
Le raclement d'une chaise suit les pas de Laskar. Dans un bruit sourd, elle prend place, il prend place, l'un en face de l'autre.
- Fidélianne, qu'est-ce qu'il ne va pas ?
Quelqu'un l'agresse. C'est pas une agression physique ou verbale, mais une agression totale. L'agression de son âme entière. Une âme qu'on empoigne à pleine main et qu'on étire jusqu'au déchirement. Et ce bruit résonne comme une peau que l'on pelle à un vivant. Elle ne crie pas, car le cri est réservé aux tueurs. Fidélianne meurt d'envie de l'entendre crier. Tous. Tous les habitants de cette maudite ville. Ses dents grincent.
- Je suis...
Il y a tellement de mots qui pourraient définir ce qu'elle ressent. Et tous ces mots représenteraient un vide affamé. L'un de ces vides, grignotant chaque entrailles goulument, et ce vide remonte jusqu'à sa trachée. Puis remonte encore plus haut, il frétille, remue sous sa peau, toque sous sa carapace, il atteint le sommet et il y chuchote des milliers de mots. Elle n'entend plus. Fidélianne attrape son visage entre ses mains. Tous, tous trahissent Horius et refusent son aide, car ils sont égoïstes, Horius les a sauvés et eux, les remercie en voulant le faire couler. Pire encore, ils veulent le tuer. Et Horius va lui en vouloir, car elle n'a rien dit ni fait, pire encore, elle est le centre d'intérêt. Tout grésille dans son crâne. Et ça résonne. Elle déglutit. Autour d'elle, les ombres la narguent, elles aussi sont dans le coup. Elle en est sûre. Il y en a une qui la suit nuit et jour et elle chuchote, elle murmure, sans jamais s'arrêter. Même parfois, elle la frôle ou disparaît et jamais elle n'arrive à la piétiner.
- Rien. Juste perturbée.
- C'est sûr que ça doit te faire beaucoup de changement, murmure Laskar, pensif.
Son regard est rivé dehors. Fidélianne est à la fois un poids et une aide précieuse. Il la fixe. Elle ne bouge pas, parfois remue, prise de soubresauts, et très probablement qu'elle n'a pas fermé l'œil de la nuit. Il est injecté de sang. La pupille énorme, un véritable trou noir où Laskar refuse de s'aventurer.
- Je vais partir d'ici, lance-t-elle en se relevant.
À grands pas, elle agrippe un sac en bandoulière, très peu garnie, juste un peu de pain, de riz et une gourde d'eau. Elle le lance sur son épaule, sa toge blanche remue comme un spectre et elle, elle défie le varan du lézard.
- Tu restes ou tu me suis ?
- Et où vas-tu ?
Elle mâchouille.
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T1 - Homo Sapiens Sapiens - Destruction et Prémices
Science-FictionNa rencontre Laskar et Laskar rencontre Na. Cette rencontre entre une petite fille et une créature de laboratoire ne peut que mal se finir. Dans un monde rongé par l'utopie du Nouveau Régime, Na se retrouve propulsée seule dans les rues moites de la...