Chapitre 1

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"Un jour, tu te verras telle que je te vois et tu connaîtras ta vraie valeur".

C'est ce que ma grand-mère m'a dit un jour d'été lorsque j'étais enfant. Je ne comprenais pas le sens de cette phrase, je ne saisissais pas la portée de ces mots. Pourtant, elle m'a marquée.

Ce jour-là, il faisait beau et très chaud. Ma mamie teignait encore ses cheveux à cette époque. Elle était souriante, pleine de vie, adorait jouer avec nous, ses petits enfants, dans le bois derrière chez elle. J'écris au passé car tout cela était d'actualité avant que la maladie ne la rattrape.

Je pense que je me souviendrai toujours de cette phrase. En revanche, j'en cherche encore le sens. Ou du moins, je continue de me demander quelle est ma valeur. C'est vrai ça, qu'est-ce que je vaux ? Une personne peut-elle valoir quelque chose ? En tout cas, si c'est le cas, je ne suis clairement pas cette personne-là, une jeune paumée de 21 ans, un peu dépressive sur les bords, qui préfère passer ses samedis soirs dans son petit studio avec son chat plutôt que de sortir en soirée. Une paumée qui n'assume même pas d'être fan de mode, vu qu'elle s'habille en jogging 6 jours sur 7. Mais je ne veux pas m'apitoyer sur mon sort ! Comment je pourrais me décrire pour donner envie aux gens d'en apprendre plus sur moi ?

"Nova - 21 ans - a terminé trois fois GTA V - connaît toute la bibliographie d'Ai Yazawa - a des petits doigts de pied bizarres", nan certainement pas, on dirait le début d'un épisode de Next.

"Hello, moi c'est Nova. Tu te demandes pourquoi ma mère m'a donné le nom d'une étoile ? Pour que j'illumine ta vie bien sûr...", non, clairement pas. Je vais juste raconter ce qu'il se passe (ou plutôt, ce qu'il ne se passe pas) dans ma vie et ce sera très bien comme ça.

Je suis étudiante en dernière année de licence de "Sciences de l'Education et Psychologie de l'Enfant" à la Sorbonne, à Paris. Plus j'avance dans mes études et plus je me rends compte que ce domaine est passionnant, et que je n'y ferai sûrement pas carrière. Je voulais devenir prof parce que ma maîtresse de CE2 était incroyable, et ça donnait forcément envie d'être comme elle. Mais comment être responsable du développement de petits êtres humains si je n'arrive déjà pas à m'occuper de juste moi ?

Je travaille dans un petit café en parallèle de mes études pour payer mon loyer et économiser. J'ai un rêve depuis que je suis entrée en 6ème et que j'ai plongé la tête la première dans l'univers d'Harry Potter. Quand je parle d'univers, je parle des livres et des films, mais aussi des jeux vidéos, des jeux de société, des légos, des figurines... Je ne suis pas vraiment quelqu'un qui a le sens de la mesure et quand j'aime quelque chose, ça devient très vite du fanatisme, voire de l'idôlatrie (si si j'ai vérifié, ce mot existe).

Bref, tout ça pour dire que mon rêve c'est de faire une petite pause après ma licence et de partir quelques semaines toute seule avec mon chat en Ecosse. Quand je regarde des documentaires sur les Highlands (la région du Nord de l'Ecosse), j'éprouve l'étrange besoin de m'y rendre. L'autre jour, je lisais un article sur Twitter (désolée, je n'arrive vraiment pas à l'appeler "X") qui disait que même lorsqu'il pleut et que tu es assis seul dans un salon de thé en plein milieu d'Edimbourg, l'atmosphère est chaleureuse et inspirante. Et je crois que j'ai besoin de ça, j'ai besoin de romantiser ma vie.

L'année universitaire finit dans un mois. Je travaillerai à temps plein au Café Coeur pendant tout l'été et en septembre, ce sera le grand départ. Je ne veux pas décevoir la Nova de 12 ans et je veux vraiment y aller. Je vais vraiment y aller.

Madame Yuna, la patronne du Café Coeur est une des personnes les plus bienveillantes que je connaisse. Elle est d'origine japonaise, détail que l'on retrouve aussi bien sur le menu que dans la décoration du café. Et je ne vais clairement pas m'en plaindre car ça veut dire matcha lattes et fluffy pancakes à volonté pour moi. J'y travaille depuis que j'ai 18 ans. Mes six premiers mois au Café Coeur étaient incroyables car je me sentais utile, je servais enfin à quelque chose, c'était mon premier job et donc un premier pas vers la vie d'adulte. Mais un jour, je me suis sentie très à l'étroit dans mon jean oversize et je me suis posé quelques questions. Parce que oui, souvenez-vous, lorsque j'aime, je deviens un petit peu extrémiste sur les bords. Les fluffy pancakes étaient devenus ma nouvelle raison de vivre. J'ai dû ralentir ma consommation, ce qui a été assez compliqué (mais on parlera de mon trouble alimentaire une autre fois). Donc depuis, c'est plutôt matcha lattes à volonté.

Ce que j'aime avec mon job étudiant, c'est que je peux complètement être moi-même. J'ai appris à gagner la confiance de Madame Yuna durant ces trois années et il y a quelques mois, elle m'a proposé d'organiser un petit évènement sur une de mes passions : les mangas. J'ai eu peur à la base, parce que bien évidemment, je ne me sentais pas à la hauteur. Mais elle m'a proposé l'aide de son fils et là, je ne pouvais plus refuser. Ren a un an de plus que moi et dépanne quelques fois au café le weekend. C'est un des seuls êtres humains avec qui j'aime passer du temps. J'avais un petit crush sur lui lorsque j'ai commencé à travailler au Café Coeur. Mais il m'a ensuite très vite présenté sa copine.

Pour que vous compreniez pourquoi j'ai rapidement lâché l'affaire, je vais vous faire sa description Next :

"Margot - 22 ans - a la même silhouette que Zendaya - a fini major de sa promo en archéologie à l'Ecole du Louvre - parle 4 langues dont le japonais."

Je ne fais donc clairement pas le poids. Mais avec Ren, nous avons développé une belle amitié basée sur notre amour pour les mangas et les jeux vidéos.

Travailler avec Ren pour organiser cet évènement manga nous a encore plus rapprochés ces derniers temps. Il a passé beaucoup de temps à la maison, nous cherchions nos inspirations, nous avons fait un moodboard... Nous avons enchaîné les soirées à discuter et à rire jusqu'à 3h du matin. Quelques fois, Margot venait dîner avec nous, puis elle repartait car lorsqu'on se lançait dans notre projet, elle se sentait un peu à l'écart.

Quelques semaines plus tard, notre évènement était un succès. Nous avions organisé une après-midi-soirée avec au programme : quiz géant sur les mangas, blind test sur les génériques de dessins animés, karaoké en japonais... Tout était dans le thème, les boissons, la nourriture, la déco. Avec Ren, on s'était même accordés sur nos tenues. C'était un moment hors du temps, un moment que j'ai vécu pleinement, dont je prendrai toujours plaisir à me remémorer. Et c'est à ce moment là que j'ai compris ce que voulait dire "avoir un vrai ami".

Sauf que ce vrai ami n'a pas vraiment compris le fait que j'ai pour projet de partir vivre quelques temps en Ecosse. Et depuis, on s'écrit moins, on ne fait plus nos soirées jeux vidéos. Même quand il vient au café le weekend, l'atmosphère entre nous deux est devenue bizarre.

En vrai, c'est peut être un signe. Je peux partir à Edimbourg le cœur léger, sans avoir peur que quelqu'un me manque. Enfin si, bien sûr que ma mère me manquera, mon frère, mes deux potes de l'université, Madame Yuna... Mais tout ça fait partie de l'expérience de partir à l'étranger.

On a passé tellement de temps ensemble avec Ren ces derniers mois que la séparation aurait été compliquée. Mais il a rendu tout ça plus facile en s'éloignant. C'est sûrement bénéfique pour nous deux.

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