CHAPITRE 1

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Lorsque j'ouvre la fenêtre de ma chambre pour laisser entrer un peu d'air frais, je ne peux m'empêcher de jeter un œil à l'extérieur. La vue n'a rien de particulier ; des immeubles de l'autre côté de la rue, une laverie automatique, une pâtisserie, un restaurant thaï et des arrêts de bus. Les voitures s'arrêtent et repartent au niveau du feu tricolore, jour et nuit.

Mais même si ce paysage ne paie pas de mine, il me rappelle où je suis : à Los Angeles, à la poursuite de mon rêve, celui de travailler dans l'univers de la musique. Pas comme chanteuse. Devant un micro, je deviens un véritable mollusque incapable d'articuler le moindre mot. Mollusque, qui, je me dois d'ajouter, chante également comme une crécelle. Mais j'ai toujours eu une passion pour la musique, que m'ont transmise mes parents, et si je n'ai aucun talent, je peux en revanche aider à sublimer celui des autres. Je suis une machiniste invisible dans l'ombre des étoiles.

En sortant de chez moi, enfin apprêtée avec un peu de retard, je file m'acheter de quoi grignoter et hèle un taxi. Je souris au chauffeur, lui donne l'adresse de ma destination et profite de mes derniers instants de calme. Sur le chemin, nous croisons une affiche avec la dernière couverture de Flashy Mag, un magazine people spécialisé dans les potins et les scandales. En plein centre, une photo de Jake Maddox, alias Blade, le chanteur principal des Toxic Strings. Avec en gros titre : « Blade pète encore les plombs chez Adrian LaCroix ! Prochain membre du Club des 27 ? » Un autre tabloïd juste à côté titre : « Jake Maddox, une vie de débauche : jusqu'où ira-t-il ? » Je me frotte le front en plissant les yeux, sentant déjà le mal de crâne approcher.

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Lorsque je quitte le taxi après avoir payé ma course – aux frais de l'entreprise, Dieu merci –, je passe par le coffee shop au coin de la rue, attrape le café chaud qui m'attend, puis me dirige d'un pas décidé vers l'immeuble rutilant où siège l'une des plus grosses boîtes de production musicale de ces dernières années, Lyrical Records. J'y ai été embauchée il y a cinq ans, après un heureux concours de circonstances. Je faisais un stage auprès d'une des pointures du milieu, Annie Green, qui a été tellement contente de mon travail qu'elle m'a recommandé au big boss. Il m'a donné une chance. J'en ai profité, et aujourd'hui, j'ai mon propre bureau dans les locaux de la boîte. Mon nom, inscrit sur la porte, brille en lettres d'or : GRACE LENTON.

Mais ce travail ne vient pas non plus sans difficultés, qui portent majoritairement le même nom : Clive Harrison, monstre sacré de l'industrie de la musique, producteur de génie et véritable tyran. D'après ce que m'a raconté Annie, le turn-over dans la boîte est énorme, car il faut avoir les nerfs solides pour supporter de travailler pour lui. Je suis parfois rentrée chez moi, au bord de la démission, mais je n'ai jamais flanché. En partie parce que mon rêve est trop important. En partie car je ne voulais pas lui donner satisfaction.

J'ai à peine le temps de poser mon sac, le café, et d'allumer mon ordinateur que l'interphone sur mon bureau se met à grésiller. La voix de Clive s'élève, avec une autorité teintée d'agacement :

— J'attends mon café, Grace ! Tu sais très bien que je ne peux pas fonctionner sans caféine. Et ne traîne pas, j'ai besoin de te parler.

Le décor est planté. Heureusement, parmi mes qualités se trouve ma capacité à anticiper. Je saisis le café et, avant de quitter mon bureau, vérifie que je suis présentable. Le reflet dans la fenêtre me renvoie l'image d'une jeune femme aux cheveux clairs, des yeux bleus un peu fatigués. Je porte un léger maquillage, un chemisier et une jupe simples, mais suffisamment élégants et professionnels. Clive y trouvera sans doute à redire, mais il irait même critiquer mon choix de porte-clés. Je prends une profonde inspiration et me dirige vers son bureau.

Memories of YouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant