Quand je me retourne vers le passé, les mois et les années de ma
jeunesse semblent filer au vent du souvenir errant en une nuée de
lambeaux identiques et pâles, telles ces tempêtes matinales de papiers
chiffonnés que le voyageur voit tourbillonner dans le sillage du train.
Dans mes rapports hygiéniques avec les femmes, je me montrais
rationnel, ironique et concis. Durant mes années de Faculté, à Londres et
à Paris, les filles vénales me suffirent amplement. J’étudiai avec un
acharnement fervent et méthodique bien qu’en vérité assez peu productif.
J’avais d’abord projeté, comme tant d’autres talents manqués*, de me
faire un nom dans la psychiatrie, mais même pour cela, j’étais encore trop
manqué ; une étrange lassitude (« Docteur, je me sens si oppressé ») me
terrassait constamment. Je me rabattis alors sur la littérature anglaise, ce
refuge où tant de poètes ratés achèvent leurs jours, vêtus de tweed et la
pipe aux dents, dans le confort universitaire. Paris me convenait à
merveille. Je discutais de l’avenir du cinéma soviétique avec des émigrés,
m’asseyais à la terrasse des Deux-Magots avec les uranistes, publiais des
essais tortueux dans d’obscures revues, composais des pastiches :… Peu m’importe
qu’une main sur la porte,
Fräulein von Kulp
tourne la tête ;
je ne suivrai personne – ni Fresca, ni
la Mouette.Un de mes essais, intitulé Le Thème proustien dans une lettre de Keats
à Benjamin Bailey, fut salué par les gloussements sibyllins des six ou sept
intellectuels qui le lurent. J’entrepris, pour le compte d’un éditeur réputé,
une Histoire abrégée de la poésie anglaise* et m’attelai ensuite à la
compilation de ce manuel de littérature française à l’usage des étudiants
anglo-saxons (avec des comparaisons choisies dans les lettres anglaises)
qui devait m’occuper durant les années 40 – et dont le dernier volume
était presque terminé lors de mon arrestation.
Je décrochai diverses sinécures, tels ce cours particulier d’anglais
(pour adultes) à Auteuil, ou cette école de garçons qui m’employa une
couple d’hivers. De temps à autre, je tirais parti de mes relations dans le
monde médico-social pour visiter, en compagnie d’enquêteur
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Lolita
Random( Livre de Vladimir Nabokov) Attention ce livre peut paraitre problematique !