𝒸𝒽𝒶𝓅𝒾𝓉𝓇𝑒 𝒸𝒾𝓃𝓆

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"Il n'y avait aucune limite à une douleur qui n'était pas provoquée par une blessure."

Le palais des Automae, Nina Varela, 2022


𝒥𝓈𝑒𝓊𝓁𝓉

Roulant sur le sol gris, la balle de billard s'approcha de moi jusqu'à toucher mes doigts. La résine caressa mon épiderme. Mon bras pendant lascivement au bord du clic-clac, je réceptionnai habilement l'objet avant de le faire de nouveau rouler. La bille vint rebondir contre le mur en briques neuves d'un sombre carmin avant de revenir vers moi.

Ma vision rendue nébuleuse par l'ennui qui m'assaillait depuis des heures réduisait mes repères visuels au néant, et mes gestes n'étaient plus que guidés par ma mémoire musculaire.

L'environnement alentours se dessinait par l'ouïe et l'odorat. Des concerts de klaxons s'élevaient des rues de New-York, ricochant contre les vertigineux bâtiments. L'immeuble était agité, habité par un couple qui se disputait au quinzième, par un nourrisson qui pleurait au troisième, par un fond de métal au deuxième, par ma balle qui roulait au sixième.

Mon bol de crème glacée à la fraise fondait malgré le froid hivernal, posé à même mon sol. Les parfums de la glace remontèrent jusqu'à moi et nourrirent mon appétit naissant.

Au travers de la double porte vitrée qui menait au balcon, un tapis de neige recouvrait les toits plats des bâtisses. Je le savais parce que j'avais déjà passé deux bonnes heures le nez collé aux vitres en espérant trouver une distraction. Les jupes avaient été changées par des jeans et les cravates par des écharpes. Je tâchais d'occuper mon esprit pendant mes heures vides alors que les autres fourmillaient dans leurs bureaux du lundi au vendredi.

Privée de ma moto, j'avais décidé de feindre un arrêt maladie pour quelques jours. La simple idée de remettre les pieds dans un métro après des années véhiculée me donnait de l'urticaire. Il n'avait pas été bien difficile de convaincre un médecin qu'une maladie de saison me retenait prisonnière. Malheureusement, je n'avais pas anticipé l'ennui que cet arrêt allait me provoquer.

Une erreur d'inattention et ma boule de billard partit dans la mauvaise direction. Elle traversa tout l'appartement épuré et rejoignit la porte, là où elle termina son trajet. Je soupirai à l'idée de me lever. Fais chier.

La bourrasque de lassitude ne tarda pas à recharger sa force sur moi. Ma tête allait exploser, à force de rester inactive alors que mon monde était en train de s'écrouler.

Ne tenant pas plus d'une minute allongée sans rien d'autre en mouvement que mes pensées, je me levai. Mon pied ricocha sur le bol au sol, manquant de le reverser et d'étaler son contenu sur le béton. Je l'enjambai et parcourus la distance jusqu'aux larges vitres.

D'une robe translucide, les flocons couvraient les traces de l'humanité. Aussi charbonneux que mes pupilles, les traces de l'humanité cachaient les vestiges de la nature. Sur les vitres était peint une fine couche de verglas. Lorsque mon front s'appuya lascivement sur la paroi d'un geste de désespoir, un frisson recouvra mes bras nus. La réverbération de ma respiration laissa un cercle de buée sur la vitre.

Il fallait que j'en fasse quelque chose, de toutes ces pensées intrusives et ces questionnements.

Les choses allaient trop lentement à mon goût.

Je ne pouvais pas rester planter là sans rien faire. D'autant plus que mon bracelet électronique me donnait des démangeaisons et j'allais finir par m'arracher la peau à force de la racler de mes ongles ou d'y passer un stylo pour me soulager.

𝐆𝐀𝐒𝐋𝐈𝐆𝐇𝐓Où les histoires vivent. Découvrez maintenant