CHAPITRE 23

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Je me réveille pour mon deuxième week-end, passé chez Bill et les siens. Mes yeux sont collés de fatigue et, pour cause, j'ai horriblement mal dormi. Je ne cesse de repenser à toutes ces choses effrayantes, que je ne comprends pas et qui sont advenues.

Bientôt, je n'oserai plus dormir toutes lumières éteintes. Ce samedi matin, je me prépare rapidement. Il est dans les environs de huit heures lorsque nous sortons de la maison avec mon oncle.

De leur côté, Clara et Cidna sont contentes de se retrouver entre filles. Elles profitent ainsi de leur journée pour aller faire du shopping, avec Natasha et Luna. D'ailleurs, d'après Cidna, sa meilleure amie semble aller mieux.

Nous roulons depuis une dizaine de minutes, et Bill et moi n'avons encore échangé aucune parole. Je suis gênée et ne sais pas comment engager la conversation.

Heureusement, c'est Bill qui s'en charge :

— Comment se passe ton intégration, à Craterlake ? Tu te plais ici ?

Je repense au fait que Bill n'est que vaguement au courant de ce qu'il se passe par rapport à Jay.

— Bien, lui dis-je. Ce n'était pas simple tous les jours, mais je m'en suis sortie.

— Tu t'es faites des amis ?

La discussion continue ainsi. Je lui parle de Peter. Il me demande son nom famille, mais je lui avoue que je l'ignore. Je précise également qu'il aura l'occasion de le rencontrer, étant donné qu'il doit passer demain.

Étant partis précipitamment, Bill s'arrête sur une aire d'autoroute. Nous pénétrons dans un petit restaurant pour manger un morceau.

— Fais-toi plaisir, m'encourage-t-il, un mince sourire aux lèvres.

Nous prenons alors tous les deux un bon gros petit déjeuner à l'anglaise. Je suis affamée. Une fois servis, Bill me regarde prendre ma première bouchée, un air nostalgique gravé sur le visage.

— Qu'est-ce qui te fais sourire ? lui demandé-je, coupant du pain grillé.

— Pas grand-chose, répond-il en tournant sa cuillère dans son café. Je me dis juste que ça grandit vite, tout ça.

Je rigole, face à sa remarque.

— C'était une vraie surprise. Tes parents avaient été les premiers au courant de la naissance de Cidna. Quelques jours plus tard, ils m'annonçaient leur décision de t'adopter.

— Pourquoi ont-ils attendus tout ce temps pour me le dire ?

— Je ne sais pas, répond-il vaguement, puis sirote un peu de sa boisson. Disons que tes parents n'aimaient pas trop aborder le sujet. Je leur avais conseillé de ne pas trop attendre mais... ils voulaient te protéger, te garder pour eux. Enfin... je suppose que je ne suis pas le mieux placé pour te parler de ça.

— Peut-être, soupiré-je en haussant les épaules. Mais, pour le moment tu es le mieux que j'ai. Si tout avais été différent, c'ést eux qui auraient pu avoir réponse à mes interrogations...

Je baisse les yeux, comme déçue. Je suis contente d'être avec Bill, mais rien ni personne ne peut remplacer la présence de mes parents. D'autres ont perdus leurs parents dans un terrible accident. Moi, comme sans doute beaucoup d'autres, je dois m'imposer cette distance afin qu'ils en guérissent.

-- Comment étaient-ils ? Avant de m'avoir ?

Bill prends un air songeur, avant de répondre :

-- Tes parents habitaient à Craterlake, avec nous. Ils étaient très investis dans la vie de la communauté. Conseillers municipaux à ce moment-là, ils passaient leur temps entre aider les gens et travailler sur l'aménagement des alentours du lac de Craterlake. Puis, un jour, ils nous ont annoncé qu'ils avaient fait des démarches pour t'adopter. Cependant, c'était dans une autre région, et ils en ont profité pour tout quitter et vivre leur vie de parents dans une autre ville.

Bill s'essuie le bout des lèvres, avant d'attraper la main que j'ai laissé retomber contre mon assiette.

Ses doigts forts entourent les miens. J'ai l'impression que la mienne disparait en dessous, tant la sienne était grande. La chaleur qu'il me partage est agréable, je ne peux m'empêcher de sourire.

— Tes parents t'aiment, Abelle. Carla, Cidna et moi, t'aimons aussi. D'ailleurs, dès que ma femme et moi avons posé les yeux sur toi, nouveau-né, nous savions que notre amour pour toi n'aurait pas de limite. Tu n'étais peut-être pas du même sang que nous, mais notre cœur était assez grand pour toi.

Sa poigne se resserre contre la mienne. Je sens mes joues s'humidifier.

— J'aimerais pouvoir te donner les réponses que tu souhaites, mais moi-même je ne comprends pas ce qu'il se passe avec ma sœur. C'est un immense mystère. Sache cependant que désormais, tu es chez-nous. Et tu pourras y rester tout le temps que tu voudras. Je ne te promets rien, le temps te le confirmera.

Il prend un mouchoir propre et m'éponge le visage. Je n'ai plus faim, j'ai la gorge nouée et je ne sais plus quoi dire. Alors, je ne dis rien. Regardant d'un air absent mon bacon qui refroidit, je me laisse retomber contre le dossier de ma chaise. Bill finit par me lâcher et termine son plat. Puis, je me mets à penser à Peter. Pourquoi envahit-il mes pensées, dès que rien ne me préoccupe ?

J'aurais dû penser à lui demander son numéro de téléphone. Afin de pouvoir prendre de ses nouvelles. Il n'est heureusement pas trop tard. Demain, il passera. Je le ferais à ce moment-là.

— Je vais régler, me prévient-il en récupérant son porte-monnaie.

— D'accord, je passe au petit coin.

Il me donne une petite tape sur l'épaule, puis je me dirige jusqu'aux toilettes. Après avoir assouvi mes besoins primaires, je me lave les mains. En même temps, j'en profite pour constater l'état pitoyable de mon visage. J'ai bien fais de ne pas me maquiller. Je prends tout de même soin d'arranger ce qui est encore récupérable, lorsque la lumière se met à grésiller.

Non ! Pas encore, c'est pas vrai... c'est de plus en plus fréquent ces temps-ci.

Avant de me mettre à délirer une nouvelle fois, je me dirigea jusqu'à la porte pour sortir des toilettes. Quel n'est pas mon effroi de voir une masse brumeuse se matérialiser devant moi, comme par magie. Je recule, terrifiée. La masse commence à se mouvoir, jusqu'à prendre une forme humaine. Deux bras, des longs doigts, des jambes. Une tête aux contours inexacts, comme le reste du corps.

Des yeux blancs. Ou, tout du moins, deux points luminescents. Mon dos rencontre le carrelage glacé des toilettes. Des larmes coulent à nouveau sur mes joues, mon rythme cardiaque s'emballe de plus belle. Je tremble tellement que je peux m'effondrer à tout moment.

— Qu'est-ce... que voulez-vous ? réussis-je à articuler.

La chose s'approche de moi, glissant sur le sol. Lentement. Trop. Lentement. Mon regard ne peut dévier de ces deux billes blanches. Impassibles. Imperturbables. Je ne vois que ça, au travers de cette brume aussi épaisse que le néant. Elle s'arrête juste en face de moi, je ressens ainsi sa respiration glacée contre ma peau. Les frissons qui me parcourent n'en finissent plus. Je sens mes vêtements s'imbiber d'une couche de sueur froide. Mon cœur est désormais en béton et me fait énormément souffrir.

— C'est toi... que je veux..., me murmure cette chose d'une voix caverneuse.

La grande main griffue se dirige jusqu'à mon visage. Je laisse cette chose me caresser, ses « yeux » toujours branchés aux miens. Puis, en un battement de cil, l'ombre s'évanouit, me laissant seule dans cette pièce devenue tout d'un coup bien trop lugubre.

L'éveil des âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant